C’est une collection exceptionnellement rassemblée que le Petit Palais présente, depuis le 5 novembre et jusqu’au 23 février prochain, sur “Ribera, ténèbres et lumière”, avec une centaine de peintures, dessins et estampes venus des plus grands musées français, britanniques, espagnols et italiens et de plusieurs collections privées, présentées plus ou moins dans un ordre chronologique pour retracer la carrière du peintre espagnol... Un choc visuel, une peinture sensible et parfois poignante, une déception aussi si on veut absolument le comparer au Caravage dont il est un continuateur.
Jusepe de Ribera (1591-1652) s’inscrit dans le sillage du Caravage, développant un style violent, réaliste et populiste qu’on a qualifié de “ténébrisme” et qui a dominé la peinture napolitaine de son époque. Après avoir travaillé dans le nord de l’Italie puis à Rome avec des maîtres connu, mais celui qui l’inspira le plus était le Caravage même s'il n'est pas certain qu'il l'ait fréquenté, cet artiste s’est imposé après s’être installé à Naples où il a épousé la fille du peintre Giovanni Azzolini, mais où il a surtout bénéficié de la présence de la monarchie espagnole dans cette ville.
Comme le Caravage, Ribera peint de façon crue en mêlant la laideur à la beauté, en s’attachant aux détails anatomiques du corps jusqu’au moindre détail de poil et de peau. Dans son allégorie des cinq sens, il évoque le goût en représentant un homme un peu fort qui déguste des anchois avec du vin rouge, apparaissant ici derrière un buste de docker du Tibre attribué à Guido Reni et représentant Sénèque. Pour l’odorat, il choisit un homme du peuple en haillons, en train de couper un oignon… d’où cette larme étonnante qui perle au coin de son œil.
L’exposition met en relief l’art et le talent d’un peintre beaucoup plus sombre que son premier inspirateur, le “prince du clair-obscur”. Ses portraits sont réalistes sans concession à la beauté. Ainsi, au-dessus à droite, ce “Saint guerrier”, plus guerrier marqué par la fatigue et les épreuves qu’illuminé par l’extase mystique comme sont souvent peints les saints.
A gauche Saint Jude Thaddée, tenant la hache de son martyre, d’une série de saints commandée par Pedro Cosida, agent du roi d’Espagne à Rome et collectionneur. Des saints peints sur fond clair et sans décor, avec une auréole à peine esquissée, un regard très moderne pour l’époque. A droite David et Goliath, tableau sombre d’où émerge seulement le visage lumineux de David qui regarde vers le ciel, alors que chez Caravage David contemple effrayé la tête de Goliath qu'il vient de trancher.
Encore dans le réalisme populaire, un jeune au pied bot, souriant mais très cru dans les détails, demande la charité avec un billet “donne-moi l’aumône pour l’amour de Dieu”.
Cette jeune femme du peuple de Naples, la joueuse de tambourin, est un autre exemple du réalisme de Ribera, loin de tout esthétisme. Il n’y a pas de belles femmes dans les œuvres ici présentées, il y a quelques vierges ou saintes au teint diaphane, on est loin de la sensualité de Caravage peignant femmes, hommes, adolescents ou enfants avec la joie de la chair et le sourire du plaisir, ce qui était très osé pour l’époque. Chez Ribera, même les Silènes sont graves et peu attrayants, comme dans cette tête de silène fragment du Triomphe de Bacchus, œuvre disparue.
La lamentation devant le Christ mourant, thème magnifié par le Caravage, est un thème travaillé à plusieurs reprises par l’artiste. Ici trois Pietà réunies pour la première fois à Paris viennent respectivement et chronologiquement de la National Gallery, du Louvre et de la collection Thyssen de Madrid. Elles montrent l’évolution de Ribera sur ce thème sur lequel il suit le Caravage mais dans son style propre.
Autres détails relevés dans cette foisonnante collection où l’on peut passer des heures, un fragment du Jugement de Salomon (voir le tableau ci-dessous dans son ensemble), un Saint-Barthélémy très marqué et tenant le couteau avec lequel il sera écorché, dans la série des commandes de Cosida, et à droite le regard de Jésus torturé par ses gardiens, qui culpabilise le spectateur.
Encore un détail dans le martyre de Saint-André peint de façon intensément réaliste avec toute la souffrance qui ressort des traits marqués. Décrit comme “le peintre des infortunés, des martyrs et des suppliciés”, ce peintre a évolué des bas-fonds de la Rome jusqu’au triomphe de la peinture napolitaine, pour reprendre un commentaire relevé ailleurs. Mais c’est là que se situe ma déception dont j’assume l’entière subjectivité, étant parfaitement incompétent. Présenté comme un artiste du scandale, Ribera a certainement choqué ses contemporains par sa peinture violente. Pour autant, j’ai le sentiment que ce père de famille respectable n’a rien à voir avec le Caravage libertaire et perpétuellement révolté, jouisseur et noceur, peignant l’extase mystique mais aussi la jouissance physique, la vertu comme les plaisirs de la chair, la laideur mais aussi la beauté, aussi scandaleux dans sa vie personnelle que dans son œuvre picturale, fâché avec les grands du monde et les princes de l’Eglise. Alors que Ribero restait proche de ses mécènes et du catholicisme espagnol, sombre et souffrant. C’est ce qu’on voit dans un partie de l’exposition où l’on explique que le “Spagnolito” s’inspire des scènes de violence des tortures et exécutions de l’Inquisition pour peindre la douleur des suppliciés dans ses portraits de saints et de martyrs. Ribero c'est le peintre de la souffrance et de la pénitence, Caravage celui du péché sans la contrition...
Comparaison n’est pas raison, Ribero a vécu 61 ans, 22 ans de plus que le Caravage, et a eu le temps de laisser une œuvre considérable aujourd’hui dispersée dans les musées du monde entier. Le mérite de cette exposition est d’en rassembler pour la première fois un nombre aussi important, permettant d’avoir une belle vision de ce peintre majeur de l’école napolitaine.