Un autre pèlerinage s’imposait à Beyrouth, la visite de la rédaction de L’Orient Le Jour, le grand quotidien francophone du Moyen-Orient, perché depuis 2009 sur la très passante route de Damas juste après Hazmiye, d’où l’on domine la capitale. Je l’avais laissée dans le quartier de Hamra, alors le quartier de la presse avec le ministère de l’information, l’AFP et le bar du Commodore… Depuis, les crises et bouleversements divers l’ont contrainte à déménager une première fois à Kantari, puis une seconde fois dans cet immeuble éloigné du centre où ils occupent trois étages.
L’accueil est toujours aussi chaleureux, je suis reçu par les rédacteurs en chef Anthony Samrani et Elie Fayad, et par la directrice du développement numérique Emilie Sueur, une nouvelle génération de journalistes. Mais je retrouve surtout avec émotion l’éditorialiste Issa Goraieb, l’âme du journal pendant toutes ces décennies troublées où le quotidien a lutté pour survivre et défendre ses valeurs, et s’est superbement développé.
Issa, grand défenseur de la langue française, me dit qu’il est parfois critiqué pour son écriture trop ciselée, « mais si on ne cultive pas le bon français, à quoi ça sert ? ». L’Orient Le Jour comme tous les médias papier est désormais tenu par des contraintes de bouclage qui laissent moins de temps pour polir la copie. Avec son oreille musicale, il soigne le français de ses éditoriaux aussi bien qu’il joue du trombone, il me dit qu’il en a encore joué hier soir dans un local.
Témoin rapproché de tous les événements du Liban et de la région depuis les années 1970, Issa Goraieb garde du recul sur la situation en Syrie et, s’il reste critique envers le nouveau régime tant qu’il n’a pas « fait ses preuves », il est sévère avec toutes les ingérences étrangères qui font pression sur les minorités pour déstabiliser la Syrie : Iran, Israël, Turquie, Etats-Unis, Russie. En tant que Libanais, il sait de quoi il parle !
Créé en 1924, avant al-Nahar (1933) et Le Jour (1934), L’Orient a fusionné avec Le Jour en 1971 pour devenir l’OLJ, et est resté un bastion de la francophonie dans la région aux côtés du mensuel Le Commerce du Levant. Il emploie une centaine de personnes aujourd’hui, dont près de 70 journalistes, le reste entre techniciens et administratifs.
Beaucoup de jeunes, mieux à même de suivre l’évolution rapide de la presse et des médias sociaux, et un certain nombre rayonnent dans la région comme envoyés spéciaux au gré des crises, m’explique Anthony Samrani.. J’apprécie leur couverture factuelle des événements de Syrie comme Emmanuel Haddad qui a fait un excellent reportage à Homs décrivant les tensions entre communautés et le mécanisme des haines qui aboutit à la violence (édition du 15 mars : « Homs, thermomètre de la transition syrienne »).
Elie Fayad, qui a été quelques années responsable de la rédaction régionale de l’AFP à Nicosie, me décrit avec Emilie Sueur l’évolution matérielle du journal : le support papier a chuté, comme partout dans le monde, et s’il y a un socle d’abonnés fidèles, les ventes en kiosque continuent à chuter, alors que l’édition numérique se développe de plus en plus loin : Liban, France, Etats-Unis, Europe, Canada, et le Golfe pour la diaspora libanaise.
De fait, la proportion du lectorat élargi est aujourd’hui d’environ 20% au Liban et 80% à l’extérieur, grâce à l’édition numérique qui s’appuie également sur une édition en anglais Orient Today. Et si l’OLJ était présent sur le Net dès les années 1990, rappelle Emilie Sueur, le lancement d’une édition numérique payante dès 2015 a permis de fidéliser le lectorat, plus volatile sur les médias sociaux. Ce qui n’empêche pas l’OLJ de rayonner aussi grâce à ces médias sociaux, il aurait plus de 122.000 Followers sur Instagram – je les suis personnellement sur « X », au-delà de mon abonnement numérique, et je vous incite à les découvrir pour comprendre un peu plus à la région.