Film exceptionnel de sensibilité et d'exactitude, Le Cercle des neiges (La Sociedad de la nieve, Netflix) réalisé par l’Espagnol Juan Antonio Bayona, revient sur l’histoire connue de l’appareil Fairchild de la Force aérienne uruguayenne qui, amenant une équipe de rugby junior au Chili en septembre 1972, s’est crashé dans une tempête de neige en plein cœur des Andes avec ses 45 passagers et membres d’équipage, dans une cuvette nommée « la vallée des larmes ». .
C’est la mort immédiate de 17 passagers puis celle de 12 autres étouffés par une avalanche ou morts de leurs blessures et d’épuisement, soit 29 morts au total. Mais c’est surtout le combat pour la survie de tout le groupe qui a permis à 16 d’entre eux de survivre 72 jours, jusqu’à la randonnée impossible de deux volontaires qui sont parvenus à alerter les secours.
Si le film américain Alive réalisé par Franck Marshall en 1993 est une adaptation spectaculaire du récit de Piers Paul Read s'appuyant sur des témoignages de survivants, La Sociedad de la nieve sorti en 2023 se fonde non seulement sur le livre du même nom publié en 2019 par Pablo Vierci, mais sur un travail mené en commun avec le réalisateur Juan Antonio Bayona et avec la totalité des seize survivants.
Le film américain est magnifique notamment dans les vues de montagne, mais le récit est raccourci et imprécis sur le déroulement de la marche de dix jours des deux volontaires Fernando Parrado et Roberto Canessa à travers les crêtes des Andes, entre 4.000 et 5.000 mètres d’altitude, un exploit physique pour des organismes diminués et sans équipement adapté, pour aller chercher des secours. Et surtout il est encombré d'une musique épico-symphonique qui n'ajoute rien en voulant souligner les moments les plus dramatiques.
Le film hispano-américain La Sociedad de la nieve est plus précis sur les personnages et nuancé dans l'approche psychologique. Il ne montre pas visuellement comment les survivants, sans vivres et menacés de mourir par inanition, se sont organisés pour se nourrir du corps des morts, sans cacher les appréhensions morales et la pudeur des survivants sur cet aspect. Au contraire, il insiste sur le don de soi et la dimension spirituelle de cette épopée où les morts et les vivants sont soudés dans une même communauté, décidant après l’avalanche meurtrière d’offrir leur corps pour la survie des autres s’ils venaient à mourir. Cet aveu fait dès leur sauvetage a été surdimensionné par les médias en quête de sensationnel, créant la polémique en traitant ces survivants de « cannibales ».
Il faut donc voir le documentaire Arte, Naufragés des Andes (Stranded en anglais), de Gonzalo Arijón, une co-production internationale, belle séquence d’interviews des survivants qui racontent chacun son vécu et comment cet élan collectif de survie a permis de surmonter le tabou de la chair humaine. Dans leur première interview après le sauvetage, l’un des rescapés, Pancho Delgado, raconte, très ému : « au bout d’un moment, nous n’avions plus rien à manger et nous nous sommes dit que si Jésus, à la dernière Cène, a donné son corps et son sang aux apôtres, c’est qu’il voulait nous montrer que nous devions faire de même : prendre son corps et son sang qui ont été incarnés. Ce fut une communion intime entre nous tous qui nous a aidés à survivre, c’était un cadeau que chacun de nous donnait. Nous ne voulions pas que cette affaire qui est pour nous très intime soit salie et déformée d’une quelconque manière, cet acte doit être interprété à sa juste mesure. »
Pour comprendre cette épreuve en nuances et en profondeur, ce passage vécu par les témoins comme un passage de la vie à la mort et de la mort à la survie, il faut lire le livre de Pablo Vierci, le premier à avoir fait parler tous les survivants et à restituer toutes les facettes de ce drame. Il raconte comment, après avoir laissé derrière eux les mesquineries et les préjugés de « la société de la plaine », pour créer une communauté soudée et généreuse de ceux qui luttaient pour survivre, beaucoup en redescendant le 22 décembre 1972 ont eu du mal à retrouver leur marques, restant en revanche soudés entre eux pendant des décennies.
Certains ne vont pas parler de leur vécu pendant trente ans, et ne commenceront à témoigner que pour honorer le souvenir des disparus. En 2013, Nando Parrado publie Miracle dans les Andes. En 2016, c’est Roberto Canessa avec Je devais survivre. Et en 2018 c’est José Luis Inciarte qui publie son Journal d’un survivant. Tous insistent sur la dimension spirituelle de leur survie, même ceux qui n’avaient pas la foi récitaient avec les autres le rosaire pendant la nuit, pour éviter de tomber dans un sommeil mortel.
Mais c’est Vierci avec son livre La Sociedad de la Nieve publié en 2019, et le réalisateur Bayona qui, ensemble, vont porter le projet du film le plus complet avec le soutien des survivants mais aussi des familles des morts en montagne, dont un certain nombre, trente ans après, feront le pèlerinage de la « Vallée des larmes » avec leurs enfants, comme on le voit dans les belles images du documentaire d’Arte.
En octobre 2021, juste avant le début du tournage dans la Sierra Nevada en Espagne, Bayona et Vierci organisent une incroyable rencontre entre les survivants et tous les acteurs, ceux qui devaient jouer le rôle des vivants comme celui des morts, et chacun donnant son avis sur un scénario écrit à plusieurs mains et à plusieurs cœurs. Les survivants ont bâti un site Internet pour regrouper témoignages, documents, cartes et photos, malheureusement en cours de modification : https://www.viven.com.uy/
Les récits de chutes et de sauvetages dans les Andes sont nombreux, celui-ci marque par la force morale qu’il a fallu à ces jeunes pour survivre 72 jours dans un froid permanent pouvant dépasser les -30°. La même force morale qui a permis au pilote de l'Aéropostale Henri Guillaumet en juin 1930, en plein hiver austral, de réchapper d’une chute dans les Andes au départ de Santiago, survivant trois jours dans l’épave de son appareil et marchant ensuite cinq jours et quatre nuits dans la neige avant d’être secouru, au prix d’un effort surhumain qui lui fera dire à Saint-Exupéry venu le chercher : ce que j'ai fait, je te le jure, jamais aucune bête ne l'aurait fait.