Pensées sur la planète

La liberté de pisser

Question : pourquoi les parkings des grandes gares sentent-ils la pisse ? Réponse : parce qu'ils sont dépourvus de toilettes gratuites (contrairement à d'autres grands parkings en ville, merci Vinci) et que les gens mal élevés se soulagent dans les escaliers, sans être tous des SDF.

Les Vespasiennes ont disparu, moralité oblige, remplacées par des sanisettes payantes. Impratiquables quand on n'a pas de monnaie, et réservées à ceux qui peuvent payer. De même que les toilettes des bars et restaurants sont désormais payantes ou "réservées à notre clientèle". Et on a encore la chance d'avoir des toilettes gratuites sur les autoroutes françaises, alors qu'elles sont payantes sur les autoroutes allemandes (contrepartie, il est vrai, du fait que les autoroutes sont gratuites en Allemagne, alors qu'elle sont très chères en France) !

C'est pourtant une liberté élémentaire de pouvoir satisfaire des besoins tout aussi  élémentaires sans sortir son portefeuille - et on ne pas accuser les SDF d'être sales et en même temps leur interdire l'accès gratuit aux sanitaires.

Autrefois terre d'accueil et d'asile, la France comme beaucoup de pays européens devient sur ce plan une terre inamicale, même pour ses propres habitants. Et cela ne se limite pas aux sanitaires : l'accès aux points d'eau est devenu très difficile.

Autrefois présentes partout, les fontaines sont de plus en plus inaccessibles, ou surmontées de panneaux "eaux non potable" alors que l'eau du robinet d'à côté l'est parfaitement. Dans les petits villages, en principe moins touchés par la pollution, la corporation des bistrotiers a fait fermer les fontaines publiques au motif qu'elles attiraient campeurs et gens du voyage. Quelle horreur !

Par contraste, les pays arabes entretiennent une tradition immuable et riche : l'eau est accessible partout, soit à boire grâce à de petites fontaines souvent protégées par une grille et munies d'un gobelet attaché par une chaînette, soit pour se laver, avec des bassins à l'entrée de toutes les mosquées. Le droit aux ablutions est ici un devoir, et il n'est pas rare qu'on regrette que les ablutions ne soient pas obligatoires en France aussi, surtout quand on prend l'autobus.

Le droit à l'eau courante et à l'hygiène est un droit très basique. Il est une manifestation concrète de la solidarité sociale. Prenons garde de ne pas en faire une valeur exotique.

La liberté de ne pas être d'accord

Dévoré ce week-end le bouquin : "Otages : la vérité", publié en janvier 2005 chez Fayard après la libération de Christian Chesnot et Georges Malbrunot le 18 décembre 2004, et mis sous le coude ensuite d'un commun accord entre l'auteur et l'éditeur à cause de l'enlèvement de Florence Aubenas. Depuis, il était un peu tombé dans l'oubli.

L'auteur est Gérard de Villiers, célèbre pour sa série SAS qui n'est pas précisément une lecture de gauche mais dont les aventures de Malko Linge, "pigiste" autrichien de la CIA qui dégaine vite et de toutes sortes de façons, sont quand même, ayons l'honnêteté de l'avouer, plus faciles à lire en voyage que beaucoup de bouquins plus sérieux ou politiquement corrects...

Cette fois, rien de romancé. L'auteur veut seulement rendre hommage à "ceux qui, agents officiels, ont agi dans l'ombre pour faire libérer C. Chesnot et G. Malbrunot et dont l'action est trop souvent dénigrée". Explicitement, un certain général Ph. R. qui, souligne-t-il, préfère la compagnie des chats à celle des hommes, et toutes les équipes de la DGSE déployées en Irak dans un climat doublement hostile : coincés entre les extrémistes irakiens d'un côté, et l'hostilité déclarée des nouvelles autorités irakiennes et de leurs sponsors américains. Sans parler des rivalités entre administrations françaises...

L'exfiltration de l'otage italienne au cours de laquelle un responsable des services italiens avait été abattu à un barrage américain confirme que cette hostilité n'est pas le fruit de l'imagination d'un romancier.

Et que nous raconte ce livre, avec détails concrets et recoupés ? Qu'au-delà des deux otages français, c'est la France entière et son président qui ont été pris en otage à cette occasion. On a voulu faire payer à la France à la fois sa "politique arabe" (dont on peut discuter de la matérialité, mais il faudrait plus de temps) et son opposition à l'offensive militaire américaine en Irak.

Il ne s'agit pas de raisonner à l'envers, et d'innocenter les auteurs des enlèvements, dont le cynisme n'a d'égal que le fanatisme. Nous ne sommes pas dans leur camp, et savons le montrer partout où c'est nécessaire. Mais de regretter, peut-être, que la France n'ait pas le droit de ne pas être d'accord sur la crise irakienne, alors qu'elle manifeste partout ailleurs qu'elle est un allié crédible et sans faille (elle le montre efficament et discrètement en Afghanistan).

Pierre Dac, grand penseur politique, disait que la démocratie c'était le droit de ne pas être d'accord et le droit de s'en aller. Ce droit est fondamental, et il est un peu oublié aujourd'hui. L'unanimisme est-il vertueux en occident, et condamnable ailleurs, par exemple en Iran ? Si la France, sans pour autant avoir systématiquement raison, continue à être le porte-parole de la divergence, c'est une fonction noble au sein de la communauté internationale, et c'est une garantie pour le maintien de la démocratie dans le monde. C'est agaçant ? Tant pis, et vive la liberté de ne pas penser comme tout le monde !

Presse et liberté

On parle beaucoup de liberté de la presse. La liberté, encore une valeur de gauche qui n'a rien à voir avec le libéralisme, qui est la liberté de faire du commerce. Justement, rendons hommage à Florence Aubenas et à sa fidélité intransigeante à la liberté non pas de la presse, mais du journaliste au-dessus de toutes les pressions, y compris de la presse elle-même.

Sa façon, en arrivant à Villacoublay le dimanche soir, de donner rendez-vous deux jours plus tard à toute la presse réunie à égalité, sans passe-droits même pour son propre quotidien, et sans les habituelles photos exclusives vendues à tel grand hebdo qui nous inflige le choc des photos, ça c'est une belle manifestation de liberté : bravo, Florence !

Sa façon, aussi, de remercier tout le monde y compris "les" présidents, non cités, les ministres, les autorités civiles et militaires, les camarades, les copains, les amis, tout le monde à égalité, cela aussi est une belle preuve de liberté d'esprit et d'expression.

Si la liberté de la presse est un noble combat dans le monde et en particulier dans tous les pays où la liberté de publication est niée, la liberté individuelle du journaliste contre le monde des affaires (quels groupes possèdent et contrôlent la presse en France, rappelons-nous ?), contre les conformismes de la société et contre le poids de sa propre rédaction est un combat qu'il ne faut pas non plus mésestimer.

Si la liberté du lecteur passe forcément par la lecture de plusieurs journaux, par principe et pour ne pas se limiter à une source unique, cette liberté passe quand même, en France, par Libération et par Arte. Quand ils ne seront plus là, il sera trop tard pour les regretter. Ces deux médias à eux seuls résument l'exception culturelle française, s'il y en a une. Merci Libé, merci Arte !

La moto est-elle une valeur de liberté ?

Vu finalement les 'Diarios de motocicleta', le film sur le rallye moto du Che à travers l'Amérique andine - un peu hagiographique, puisque raconté par son camarade devenu un notable cubain. Bon, la moto est un prétexte, et finit du reste à la casse. Mais c'est évident que le deux-roues et un fort symbole de liberté, même si on n'est pas forcément d'accord avec la vision sulpicienne de Saint Guevara guérissant les Lépreux.

Mais quelle moto ? La Poderosa du Che était une Norton, ou plutôt une Triumph. Dans Easy Rider, la moto libertaire était la Harley-Davidson, perçue en Europe comme une moto réac (c'est la moto de Johnny !), mais pas comme telle aux Etats-Unis puisqu'elle est pratiquement la seule marque américaine disponible.

Il est vrai que dans le 'Traité du Zen et de l'entretien des motocyclettes', ouvrage américain culte et cool de 1974 (traduit en français en 1978), la moto de Pirsig n'est mentionnée que comme un accessoire, et on devine au bout de 47 pages qu'il s'agit... d'une BMW et non d'une Harley.

Alors, la moto est-elle de gauche ou de droite ? En réalité, plutôt entre libertaire et Beauf, c'est très variable. Mais ce qui autrefois était une valeur d'évasion devient un phénomène de masse, avec son agressivité et ses intolérances. Les motards en colère sont de fameux corporatistes, quand ils s'y mettent.

Si, quand même : il reste la solidarité. Un peu malmenée mais réelle quand même, c'est une bonne raison de se sentir bonne conscience quand on roule encore à moto.

Bonne route !

La bouteille à la mer

La bouteille à la mer, c'est ce qu'on lance face à l'océan avec l'espoir qu'elle arrive quelque part contre vents et marées. Alors lançons-en quelques-unes.

Le discours de gauche est aujourd'hui en miettes, entre anti-mondialistes qui redécouvrent l'anti-impérialisme en faisant l'économie d'une analyse marxiste, anti-européens qui ne font que prolonger l'esprit d'Astérix l'irréductible gaulois moustache réincarné en José Bové le néo-souverainiste, et apprentis sorciers qui ont fait capoter le référendum européen dans toute l'Europe sous le prétexte honteux - et fallacieux - de proposer un nouveau texte...

Devons-nous forcément nous concentrer sur la seule échéance des présidentielles de 2007 (si le mandat actuel dure jusque là), ou ne vaut-il pas mieux retrouver les valeurs communes qui ont fondé les succès de 1936, 1945 et 1981 ? Il est inepte de chercher l'homme (ou la femme) providentiel, il est plus urgent de voir en quoi la gauche est une alternative crédible à la droite, et en quoi elle mérite de retrouver des responsabilités....

Voilà. Au PS le débat essentiel semble être : François est coupable d'avoir tardé à sanctionner Laurent, qui aurait dû être mis à l'écart avant, et non après la catastrophe qu'il a suscitée. Les deux sont hors jeu. Soit. Mais est-on obligé de s'enfermer déjà dans un choix aussi étroit ???