Plus qu'une confusion "du pouvoir", qui est un fait conjoncturel, on assiste en France à une confusion "des pouvoirs" qui aboutit à un affaiblissement global de la démocratie et son corollaire, l'expression dans la rue des mécontentements non canalisés par les institutions. Et, pire encore, à l'incapacité du président de la république de jouer son rôle d'arbitre.
Résumons, pour tenter d'y voir clair : comme déjà expliqué ici, le gouvernement, au lieu de laisser le Parlement légiférer comme c'est prévu par la Constitution (proposition de loi), a pris l'habitude, et ce n'est pas spécifique au gouvernement actuel, d'agir en usant du législatif (projet de loi) plutôt que du réglementaire.
A cette première dérive, qui au lieu de rester exceptionnelle devient une marque de passage des ministres, s'ajoute le recours par le gouvernemeent au fameux article 49.3 qui permet un vote bloqué au cas où le Parlement peinerait à s'accorder sur un texte législatif, comme dans le cas du CPE. Ce recours est aussi extravagant dans une pratique démocratique normale que le serait le recours aux pouvoirs spéciaux de l'art. 16 de la Constitution pour régler un problème d'ordre public ordinaire. Le gouvernement Jospin, on peut lui reconnaître cela, a évité de recourir à l'art. 49-3.
Poursuivons : bousculant la pratique parlementaire, le gouvernement qui a imposé le vote d'un texte insuffisamment mûri se heurte à la résistance inattendue d'un mécontentement populaire grandissant. L'entêtement du gouvernement à en faire une question de principe offre à une gauche divisée et hésitante l'occasion rêvée de refaire son unité éclatée depuis le référendum européen, défilant au coude à coude et sans lien réel avec l'enjeu du CPE.
Comble du paradoxe, les syndicats étudiants ne se contentent pas de demander le retrait du texte contesté, ils demandent purement et simplement la démission du gouvernement ! Et face au juvénile chef de l'UNEF Bruno Julliard, qui rappelle un peu la silhouette de Jacques Sauvageot, un Chirac chaussé des mêmes lunettes que le général vient expliquer à la télévision qu'il va promulguer la loi mais en différer l'application en attendant qu'elle soit modifiée.
Paradoxe supplémentaire, celui qui est censé être le chef de l'exécutif vient soutenir l'initiative du gouvernement sur le CPE tout en lui refusant l'application : autre chef de l'exécutif, le premier ministre doit s'interroger sur ce qu'il doit faire en termes d'action gouvernementale. Comme si le Président avait renvoyé le texte incriminé au milieu du débat parlementaire dont il n'aurait jamais dû sortir en l'état.
N'importe quel étudiant en première année de droit serait recalé s'il se hasardait à formuler un scénario aussi hasardeux. C'est le privilège de l'exception française, que de vouloir toujours compliquer les choses les plus simples. Ayant eu moi-même un autre privilège, celui de connaître le jeune Chirac comme maître de conférence à Sciences-Po, j'avais gardé le souvenir d'un raisonnement plus structuré, même s'il était déjà nettement moins porté à la rigueur juridique qu'à l'efficacité politique.
Un candidat responsable aux prochaine présidentielles gagnerait en crédibilité s'il se prononçait sur l'incohérence instiutitonnelle héritée de la révision de 1962 qui établit une dualité à la tête de l'exécutif. Certains sont pour un présidentialisme renforcé, la suppression du premier ministre, l'indépendance du parlement. C'est séduisant, même si le système américain ne nous éblouit pas aujourd'hui en termes de bon fonctionnement de la démocratie.
Mais surtout, la France serait alors le seul régime présidentiel en Europe. Si l'on veut construire quelque chose de durable dans le sens d'une cohérence européenne, il faut d'urgence admettre que le régime politique ne peut reposer sur la seule personne du président de la république. Rétablir la séparation des pouvoirs, renforcer le parlement, avoir un exécutif à une seule tête, voilà qui correspondait plus à la réalité contemporaine d'une Europe intégrée que des institutions prévues pour répondre à des crises majeures comme la décolonisation et la guerre d'Algérie.
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