Contre l'euroscepticisme en vogue aujourd'hui, qui sombre même dans un europessimisme ravageur parmi ceux qui "y croyaient" mais sont démotivés depuis l'échec du référendum sur la constitution européenne, voici une lecture salutaire pour retrouver une dose d'euro-optimisme : "Pourquoi l'Europe dominera le 21e siècle", paru en février 2005 à Londres et publié récemment en français chez Plon.
Mark Léonard, l'auteur de "Why Europe will run the 21st Century", n'est pas seulement l'auteur juvénile (voir photo) d'un blog attrayant et inventif, à la pointe de l'actualité (voir son dernier reportage sur les élections en Biélorussie), plein d'idées et un tantinet "selfish" comme beaucoup de jeunes blogueurs, style Loïc Le Meur. Il est aussi le très sérieux directeur de politique étrangère du "Centre for European Reform" de Londres, un organisme qui réfléchit et milite pour une intégration européenne moderniste.
Dans cet ouvrage, Mark défend l'idée que "l'Europe sera la première puissance politique du XXIe siècle car elle est le seul projet au monde capable de tempérer les rafales de la modernisation". Suivons-le, ça vaut la peine. Son argument est que, à l'opposé des moyens classiques de puissance, "l'Union européenne a su tirer parti de la taille de son marché et de sa diplomatie pour élaborer un type de pouvoir différent, que je qualifierai de pouvoir de transformation".
L'Empire américain, arc-bouté sur ses prérogatives de super-puissance solitaire, dispose aujourd'hui d'une "marge de manoeuvre faible et limitée (...): dès qu'elle a le dos tourné, sa puissance décline". A l'inverse, "la force de l'Europe est vaste et profonde : une fois entrés dans son orbite, les pays subissent une mutation irréversible" - ce qu'il appelle "le pouvoir de la faiblesse".
La mécanique en remonte aux pères fondateurs de la construction européenne. Et d'abord à Jean Monnet, l'anti-héros, dont la vision "consista à renoncer à toute vision", et à progresser pas à pas, dossier technique après dossier technique, selon la technique de "l'engrenage" dont l'efficacité a permis de déclencher une "révolution silencieuse" et surtout irréversible.
L'Union européenne n'est donc pas une puissance politique, c'est "un réseau décentralisé, qui est détenu par ses Etats-Membres". Elle a su devenir une puissance économique non-agressive, facteur d'atttraction pour ses voisins les plus lointains, capable de modeler les rapports internationaux en usant de l'arme du droit comme instrument de politique étrangère.
Ce qu'il appelle le "pouvoir révolutionnaire de l'agression passive" c'est, précisément, cette façon qu'a l'Europe, au lieu de vouloir imposer sa règle du jeu par la force comme les Américains essaient en vain de le faire en Irak, de menacer ses partenaires de ne pas les accueillir : "au lieu de brandir son pouvoir pour sauvegarder ses intérêts, l'Europe menace de ne pas en faire usage - de retirer la main tendue, d'annuler toute chance d'adhésion". Et il cite la Turque, la Serbie ou la Bosnie, pour lesquelles la vraie pression pour le changement est représentée par la seule perspective de ne pas rejoindre la famille européenne !
La Russie, la Chine et l'Inde sont également attirées par le modèle européen - la restauration du multilatéralisme et de l'état de droit - caractérisé par l'ingérence humanitaire, le Tribunal pénal international, le protocole de Kyoto sur la protection de l'environnement, etc. Un rayonnement qui ne se limite pas aux valeurs morales, puisque l'Euro devient aussi une valeur de référence, et que nombre de pays hors zone Euro commencent à considérer cette devise comme une valeur refuge : "bien que le dollar américain constitue encore près des deux tiers des réserves de change officielles, il est manifeste que le vent est en train de tourner en faveur de l'euro (...) ; le grand changement se produira quand les banques centrales asiatiques convertiront certaines de leurs devises en euros".
Mais la force de la construction européenne, "la valeur ajoutée de l'Europe, vient de la qualité de vie qu'elle propose et non de ses taux de croissance". Le jeune chercheur démontre, chiffres à l'appui, que l'Etat-providence européen génère un meilleur taux de croissance et de vitalité démographique que le modèle libéral américain.
Une lecture pas forcément légère, mais un argumentaire très étayé avec des notes nombreuses dont un certain nombre de liens HTML, un outil vraiment utile pour qui veut défendre l'idée européenne. Suffisamment convaincant pour que, un an après sa sortie et un succès certain en Grande Bretagne et aux Etats-Unis, il soit en cours de publication dans treize pays...
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