Analyse éclairante livrée le 18 avril par Henri Tincq, le rubricard religieux du Monde, plus souvent papolâtre que bien de ses confrères de la presse ouvertement catholique mais extrapolant abusivement de la "petite musique de Benoit XVI": en substance, il nous explique que l’islam est responsable de la crise du christianisme en Europe et qu’il faut donc éviter un dialogue forcément déstabilisant.
« Trois défis démesurés se posent aujourd’hui sur la table du pape allemand, écrit-il : la crise sans précédent de la foi et des pratiques religieuses en Europe ; la prolifération des sectes ; la progression de l’islam. Autrement dit, la marginalisation et la mise au ban du Dieu chrétien ».
Et de citer « un spécialiste de la Curie », lequel justifie ainsi la récente éviction du responsable du dialogue interreligieux au Vatican : "l'islam n'est pas un monothéisme semblable au judaïsme et au christianisme. Ce n'est pas la même Révélation. Aucun dialogue religieux n'est possible avec l'islam, ni avec les sagesses de l'Asie. Mais un dialogue culturel, oui".
Il faut toujours se méfier des entourages, surtout s'ils sont anonymes. Et ne pas prêter au pape les propos qui ne sont pas directement les siens. J'avais cité récemment un porte-parole autoproclamé, le professeur Pera, qui prétendait au nom de la laïcité mener le combat de l'Europe chrétienne contre le péril islamique, un combat non religieux donc uniquement politique.
Mais revenons donc à la dimension religieuse. "Le dialogue chrétiens-musulmans est d'abord religieux, pas culturel", disait l'islamologue algérien Mustapha Cherif, cité par l'AFP dans La Croix 5 avril, ajoutant: "me placer avec les non-croyants est pour moi un recul, l'islam est le troisième rameau monothéiste - mon occidentalité, je la revendique : nous sommes du même monde, on veut nous faire croire que ce monde a été seulement judéo-chrétien, alors qu'il a été judéo-islamo-chrétien, on veut m'isoler en me caricaturant et en profitant des monstruosités de certains des miens".
Le pape lui avait déjà répondu le 16 mars, n'en déplaise à Tincq et à ses spécialistes de la Curie, en appelant les chrétiens et les juifs à coopérer avec l'islam : "le judaïsme, le christianisme et l'islam croient en un Dieu unique, Créateur du paradis et de la Terre. Il en découle donc que les trois religions monothéistes sont appelés à coopérer les unes avec les autres pour le bien commun de l'humanité et à servir la cause de la justice et de la paix dans le monde". Dont acte.
Le christianisme ne peut être réduit à l'esprit de croisade, et je ne citerai jamais assez la contre-croisade de Saint-François d'Assise. Même si certains rêvent d'une grande réconciliation des branches séparées du christianisme contre le péril islamique, en s'appuyant sur les déclarations du patriarche orthodoxe de Moscou - partisan d'un dialogue assez radical avec les musulmans en Tchétchénie - le cri de ralliement ancestral "Mammaliturchi" (Maman les Turcs !) ne peut pas être le remède à la crise, prétendue ou réelle, du christianisme en Europe.
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