Les jeunes ne lisent plus de quotidiens : trop cher pour eux. Mon fils se plaint qu’à sa station de tram, il n’y a pas de gratuits et qu’il est le seul dans le wagon à ne pas lire de journal. Les gratuits sont nombreux, omniprésents et, signe de leur présence incontournable, désormais cités dans les revues de presse. Et puisque je parle des revues de presse, je constate qu’autour de moi, nombre de cadres dits supérieurs se contentent de plus en plus des extraits de leur revue de presse confectionnée sur mesure, le comble du chic étant d’avoir accès aux articles qui seront publiés demain.
Là on n’est pas dans le gratuit, mais dans le très cher. Sauf que le lecteur y perd car il n’a accès qu’à son environnement professionnel immédiat et perd le regard élargi sur le monde que donne un vrai journal complet, que l’on feuillette comme on voyage en découvrant à chaque page de nouveaux paysages. Et plus encore, c’est le journal qui y perd car il n’est plus acheté en kiosque mais se voit « photocopillé » à l’intérieur des entreprises et des administrations, car en matière de respect du copyright on n’est pas plus vertueux dans le public que dans le privé, en dépit de la législation.
C’est ça aussi, le départ de serge July. La conséquence d’un appauvrissement de Libé, mais aussi de tous les quotidiens payants. La conséquence de la paresse du lecteur, ou de sa radinerie. La conséquence aussi de la facilité qu’offre la technologie, permettant à tout un chacun, sans parler des revues de presse très chères, de se confectionner gratos une page d’actualité sur mesure par Google, Yahoo ou autres serveurs performants.
Où sont-ils, les lecteurs militants d’autrefois, prêts à acheter des actions de leur journal favori, Libé, Le Monde ou l’Huma ? Car, au fait, les deux autres ne vont pas beaucoup mieux. La crise de France Soir était un cri d’alarme lancé par ses journalistes en grève, sans succès.
Certes, le départ de July est d’un autre niveau, avec une bonne négo (un peu plus qu’un préavis, paraît-il), deux pages d’édito, la une et la quatre de couv’, un demi numéro consacré à son œuvre (33 ans à la barre, tout de même) avec les témoignages les plus prestigieux, les plus émouvants. Chapeau à Libé, à July, aux journalistes et même à la nouvelle direction : la page est tournée avec style.
Mais la relative discrétion des autres médias sur cette crise de Libé, comme pour France-Soir, m’inquiète. L’Huma consacre une analyse à ses propres problèmes en faisant, rapidement, le lien avec la crise globale de la presse et le « départ contraint de S. July ». La Croix parle rapidement du vote des journalistes de Libé pour la « co-gérance partagée », tout en évoquant la grève à Paris Match contre l’éviction de Genestar. Le Figaro évoque en factuel le départ de July et son remplacement par le journaliste Vittorio de Filippis mais c’est tout petit par rapport à la demi-page « people » au vrai problème de l’heure : un possible mariage de régularisation entre Séolène et François. Enfin Les Echos et La Tribune évacuent le problème sous un angle purement économique.
Lecteur réveille-toi, ta presse fout le camp !
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