La France adore les batailles d'image : faute d'avoir les moyens d'une grande politique, elle se complaît aux attitudes déclamatoires et pratique aujourd'hui une politique parfois plus inspirée de Marcel Bleustein-Blanchet, le génial fondateur de Publicis, que du général De Gaulle. Tel est le sentiment que me donnent les assauts de séduction auprès de Bush un jour et de Poutine le lendemain.
Certes, ce n'était pas la France officielle qui était reçue dans le salon ovale à Washington, mais un ministre qui n'était pas celui des affaires étrangères, par hasard candidat aux présidentielles, et qui a été reçu également par hasard dans l'antichambre du président américain où, par chance et par hasard, se trouvait le photographe du président. Photo illustrant le vibrant plaidoyer que le même ministre a fait, durant ce voyage, pour célébrer les nécessaires retouvailles franco-américaines, -et dont on peut trouver le texte intégral sur le blog de Jacques Heurtault.
Et bien entendu c'est une simple circonstance historique qui fait que, vendredi soir, des Mirage 2000 et des Sukhoi russes volent ensemble sur le ciel de Paris : c'est à l'occasion de l'inauguration d'une statue rappelant l'escadrille Normandie-Niémen, les volontaires français envoyés par De Gaulle combattre l'Allemagne nazie aux côtés de l'armée de l'air soviétique. Une belle histoire, toute de courage et d'héroïsme, au terme de laquelle Staline offrit un chasseur Yak à chacun des survivants - les pilotes Français eurent beaucoup de morts - qui revinrent en France et se posèrent au
Bourget.
C'est donc l'occasion de cette cérémonie originale, due au très inventif directeur du Musée de l'air et de l'espace du Bourget Gérard Feldzer, qui réunira les derniers pilotes et mécaninciens russes et français de cette escadrille mythique, et sera prolongée par une exposition à ne pas rater, où l'on verra le dernier Yak 3 de l'époque mais également les appareils de la deuxième guerre mondiale : DC3, Junker 52, Polikarpov, B26 Marauder, Mustang, Spitfire, Dewoitine, etc.
Tel est donc le prétexte qui réunira Jacques Chirac et Vladimir Poutine, avec une belle photo symbolique sur fond d'appareils militaires. On ne peut pas s'empêcher d'y voir un signal politique, celui que la France n'entend pas "s'aligner" sur le grand frère américain, qu'elle reste une grande puissance indépendante, un rappel à l'ordre à ceux qui "en font trop".
Pour autant, ce n'est pas le retour aux vieilles lunes anti-allemandes. Si Angela Merkel n'a pas été associée à l'évocation de Normandie-Niémen, elle rejoint Chirac et Poutine le lendemain à Paris pour parler de coopération. Et les Allemands sont aussi allants, voire plus, que les Français, pour évoquer le renforcement de cette coopération afin que la Russie ne soit pas un rival de l'Union mais un partenaire solide - ouf, on ne parle pas encore d'élargissement...
On dit que les Russes sont très demandeurs de cette coopération russo-européenne, et veulent notamment être associés aux regroupements industriels européens. Des voix allemandes, surtout côté politique, se sont élevées dans le même sens. Espérons que la gestuelle symbolique et les intérêts politiques n'aboutiront pas à l'effet inverse, à savoir de fragiliser les constructions industrielles déjà lancées au niveau européen et dont on voit tous les jours qu'elles n'ont pas encore atteint la maturité leur permettant de s'élargir sans risque.
Merci pour le lien, Pierre!
On peut dire beaucoup sur ces rencontres qui ne sont évidemment pas fortuites.
Il reste qu'il ne faut JAMAIS confondre l'amité entre les peuples et donc entre les nations et le sentiment personnel que l'on peut avoir vis à vis de tel ou tel dirigeant.
Je suis bien placé pour savoir que le sentiment anti-français aux Etats-Unis reste bien réel, même s'il est nettement moins fort aujourd'hui.
Pour témoignage, cette anecdote.
J'ai reçu, à mon domicile, une amie américaine et sa fille. Nous sommes allés en visite du côté d'Orléans. En passant, je leur montre les ruines d'un pont bombardé par les américains pendant la dernière guerre (il n'en reste que les socles des piliers, bien visibles, cependant).
"Sorry, terribly sorry" me dit la jeune fille!
Elle avait perçu ma remarque comme un reproche ...
Il a donc fallu lever le malentendu.
"No, no! Thank you very much for bombing ... against Germany, against Hitler. Thank you very much!" ai-je répondu.
Rédigé par : Jacques Heurtault | 01 octobre 2006 à 10:39
Encore une fois, Jacques, nous sommes proches. Mais toujours avec des nuances ! J'ai beaucoup d'amis américains, y compris des militaires en 2e section, qui sont reconnaissants à la France de maintenir le cap en ayant son analyse originale sur l'Irak, l'Iran, le Liban pour ne citer que les cas les plus récents, tout en manifestant son engagement solidaire comme en Afghanistan. Le discours de Chirac est fait de fermeté, non pas d'antagonisme, mais exclut toute forme de suivisme comme le pronent malgré tout Pierre Lellouche et son candidat Sarkozy. En revanche, je pense que l'équilibre transatlantique sera plus fort si la France joue la solidarité européenne (et je ne parle pas de la Russie) en même temps que la fermeté dans son discours envers l'administration actuelle à Washington. Ce sera la tâche du prochain président, quel qu'il soit, de trouver le ton juste qui ne soit pas arrogant et qui montre que la France n'est pas isolée, bien au contraire.
Rédigé par : Pierre Bayle | 01 octobre 2006 à 18:21