Merci à Jamel Debbouze et à ses copains, pour ce moment unique passé dans une salle de cinéma à Chaville en découvrant "Indigènes", le film de Rachid Bouchareb : dans le public disparate, de jeunes Beurs attentifs et émus regardaient fascinés "leur" Jamel en combattant français, assis à côté d'anciens rapatriés qui chantonnaient "c'est nous les Africains" lorsque les soldats d'Afrique du Nord entonnaient ce chant trop longtemps détourné. Comme si une immense cicatrice, celle de la guerre d'Algérie, était non pas refermée mais un instant oubliée.
Bien sûr certaines images sont caricaturales : que le soldat Saïd soit toujours une main dans la poche, c'est une prouesse de l'acteur Jamel pour cacher son infirmité dans un rôle physique difficile. Mais que son colonel se balade les mains dans les poches, c'est incongru surtout chez les officiers de l'armée d'Afrique, plus conservateurs dans la tenue et l'attitude que leurs camarades de la 2e DB. Et quand on voit ces mêmes officiers, avec un général en béret basque qui pourrait être Guillaume, regarder à la jumelle leurs troupes indigènes monter seules à l'assaut d'une montagne italienne, eux-mêmes confortablement installés sur une colline en contrebas, là c'est carrément offensant pour la mémoire de tous ces cadres, officiers et sous-officiers, qui peuplent les cimetières militaires français en Italie aux côtés de leurs frères d'armes africains et nord-africains, pour être montés à l'assaut à la tête de leurs troupes.
De même, la vision irénique de populations maghrébines enrôlées dans leur pays en paix pour aller libérer l'Europe occupée et en guerre fait abstraction des combats antérieurs en Afrique, de l'Egypte à la Tunisie en passant par l'Erythrée et le désert libyen, où des Français de métropole et des Français d'outremer ou d'Afrique, les premières troupes de la France libre, ont trouvé la mort sur le sol africain pour le même combat, pour les mêmes valeurs.
Mais la vertu de ce film n'est pas d'être exhaustif, il est pédagogique. Il force le trait avec un sergent pied-noir et raciste qui occulte à lui tout seul toute la passion des cadres pour leurs troupes - notamment les officiers des affaires indigènes , les OAI, dont beaucoup étaient arabisants et lecteurs avertis du Coran - mais pour rappeler un fait historique établi, la différence de traitement entre troupes françaises et troupes indigènes. Voir à ce sujet l'excellent article de Benjamin Stora, l'historien de la décolonisation, dans Le Monde du 27 septembre.
Le film montre le rôle déterminant de ces troupes indigènes pour libérer jusqu'à la dernière parcelle du territoire français, devançant souvent leurs alliés américains. Leur combat ne s'est du reste pas arrêté en Alsace et a continué en Allemagne, il faut rappeler que ce sont encore des Marocains, ceux du 1er Spahis, qui sont entrés les premiers au fameux "nid d'aigle" de Hitler à Berchtesgaden.
Les faits rappelés par le film, l'injustice de traitement faite aux combattants de seconde zone, se sont prolongés ensuite avec le retour des troupes en Afrique du Nord, fait d'incompréhensions et de déceptions accumulées - l'adjudant Ben Bella a nourri dans ce ressentiment sa révolte nationaliste - et amplifiées plus tard par la cristallisation des pensions, c'est à dire le gel à leur niveau de 1959. Tous les gouvernements ont buté sur ce problème, par manque de courage, et on peut-être de gauche et reconnaître sans arrière-pensées le mérite de Jacques Chirac, ancien combattant en Algérie, d'avoir brisé ce tabou en décidant la décristallisation des pensions.
Pas assez, tardif, cynique par rapport à tous ceux qui sont morts sans avoir rien vu venir, les critiques à cette mesure sont légitimes, mais elles-mêmes tardives. L'injustice faite aux anciens combattants "indigènes", comme celle faite aux harkis, sont des plaies encore béantes. Merci à Rachid Bouchareb, à Jamel Debbouze, à Sami Naceri, Sami Bouajila et Roshdy Zem, d'avoir apporté ce qui n'a pas de prix, la fierté, que des générations de grand-pères et de pères n'ont pas pu, faute de reconnaissance publique, transmettre à leurs enfants. La couverture du Nouvel Obs avec une photo de Jamel sur fond de drapeau tricolore avec le titre "pourquoi je suis fier d'être Français", en est une superbe illustration.
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