Unamité surprise, samedi matin à Lens, à la réunion organisée par la fédération socialiste du Pas-de-Calais pour donner une tribune aux candidats du PS, virtuels ou déclarés, pour les prochaines présidentielles, le parti ayant décidé des "primaires" pour que les militants départagent ces candidats : tous les intervenants sont tombés d'accord sur le nom d'un seul et même candidat... Nicolas Sarkozy.
Candidat dangereux, réactionnaire et anti-social, américaniste primaire et même "caniche de Bush", les qualificatifs ont fusé pour décrire celui que les socialistes voient comme leur seul et unique adversaire et, simultanément, comme leur principal facteur d'union et de rassemblement de la gauche. Une façon pratique d'afficher la cohérence du parti, ce qui n'a pas empêché l'assistance - et les téléspectateurs, merci la chaîne parlementaire - de jauger les candidats à leurs différences.
Très applaudie - ex-aequo avec Jospin et à peine devant Fabius, qui a ému le public - Ségolène Royal a marié la fermeté sur les valeurs et la prudence sur les sujets plus délicats comme l'Europe, la même prudence qui l'avait retenue de communiquer après sa visite à Bruxelles mardi, primaires obligent. Soucieuse évidemment de ne pas rouvrir la fracture interne au PS entre "ouistes" et "nonistes", elle a tout de même donné un signal fort puisque, après avoir été reçue lundi à Rome par Romano Prodi, elle a quitté le meeting de Lens après son intervention pour aller voir Zapatero à Madrid, un vrai tour de l'Europe de gauche. Petit signe aux Ecolos, une promesse d'amnistie aux arracheurs de plantes OGM et l'interdiction des cultures OGM en France si la gauche est élue...
Pédagogique et énigmatique, Lionel Jospin n'a pas fait le portrait-robot du candidat idéal mais a énuméré les conditions pour une victoire du candidat socialiste (traiter les questions de fond, réveiller la gauche, incarner le PS). Avec au passage quelques idées fortes comme de muscler l'économie française en pariant sur l'université et la recherche, "défendre nos intérêts face aux nouveaux géants à bas niveau de salaire" (la Chine et l'Inde), rétablir l'idée que le progrès technique peut être facteur de justice sociale, redessiner une identité nationale un peu brouillée... Un discours de programme, mais qui n'est presque plus le discours d'un candidat, Jospin a convaincu par sa sincérité, sans dévoiler ses intentions.
Emouvant aussi mais presque pathétique, Jack Lang a commencé par dérouler un discours de parlementaire, de tribun local, en vieux routier des campagnes de préaux, pour décoller très progressivement au niveau des présidentielles, débordant du reste sur le temps imparti et n'arrivant pas à s'empêcher les envolées dont il est coutumier, et peu convaincant quand il appelle à une "révolution tranquille". Il a vibré en évoquant un Sarkozy "qui n'est pas le candidat de la sécurité, mais le candidat de l'insécurisation sociale, de l'insécurisation professionnelle, de l'insécurisation diplomatique". Appelant enfin les militants à prendre en compte, dans leur choix futur, l'expérience du candidat, ce qui n'est pas galant pour les plus jeunes, Lang s'est un peu piégé en terminant sur son volet diplomatique, notamment ses visites à Damas à Téhéran où il a répété avoir été "pour défendre les droits de l'homme et les droits d'Israël".
Impérial, direct, parlant sans notes et très à l'aise, Dominique Strauss-Kahn a joué l'expérience sans jamais la mettre en avant, parlant simple et jeune, affirmant avec force ses convictions comme : "affirmer notre identité social-démocrate, c'est la condition pour rassembler la gauche". Un discours cohérent sur les volets économique et social, un vrai discours de gauche sans être démagogique, DSK est le véritable challenger de Ségolène, avec trois principes qui peuvent être adoptés par tout candidat du PS : "un seul objectif, battre Sarkozy, une seule stratégie, le renouveau de la social-démocratie, une seule condition pour pouvoir vaincre, l'unité des socialistes".
Une différence cependant, DSK s'est prononcé - contrairement à Ségolène et surtout à Fabius il y a quelques mois - pour une présidentialisation du régime en France en affirmant que le président de la République "ne doit plus être un arbitre, il faut un président qui mette ses mains dans le cambouis, un président qui soit à la barre", avec simultanément un "renforcement du contrôle parlementaire". Et il a redit, en réponse à une question, que le président français devait devenir "le chef de l'exécutif", ce qui sous-entend une réforme des institutions dans un sens présidentiel, à contre-courant de l'environnement institutionnel de nos partenaires européens.
Souriante, une fois n'est pas coutume, venue en élue du Nord voisine et partenaire de Lens et du Pas-de-Calais, Martine Aubry n'a pu s'empêcher de décocher une pique à ceux qui caracolent dans les sondages en affirmant que la politique, ça consiste à défendre les valeurs et pas simplement faire plaisir aux gens. Pour le reste, elle a déroulé un discours de gauche très classique, citant comme les autres Jaurès et l'héritage des luttes socialistes et défendant les droits des salariés contre les délocalisations. Difficile de dire à la fin de son intervention si elle était candidate ou non...
Laurent Fabius, enfin, a su trouver des mots justes pour gagner un auditoire qui ne lui était pas acquis, notamment lorsqu'il a dit que François Bayrou, dont il ne partageait pas généralement les idées politiques, avait eu raison de dire ce qu'il avait dit sur le contrôle des médias en france par les intérêts économiques et politiques. Puis il a développé un discours "gauche-gauche" centré sur le SMIC et le rattrapage des petits salaires, défendant le maintien de la carte scolaire, soulignant la nécessité pour la France de retrouver un rôle dans le mode face '"aux Américains qui se sont affranchis de l'ONU pour lancer la guerre en Irak et bafouent les droits de l'homme tous les jours à Guantanamo".
Affirmatif au départ, Fabius a perdu de son assurance pour dire, sur un ton ému, "un mot personnel" sur les sondages. Ceux-ci, a-t-il expliqué, n'ont aucune valeur par rapport au travail de réflexion - et on peut penser qu'il ne faisait pas allusion à Sarkozy mais à Ségolène. La voix un peu cassée, comme défensif, il a dit que "la réflexion ça existe, le débat ça existe, l'engagement ça existe". Et a demandé aux militants de considérer la valeur de l'engagement et de ceux qui donnent leur vie à cet engagement pour le parti et pour la France. Presque la larme à l'oeil, un peu comme Jospin à l'université d'été, comme s'il comprenait qu'il ne serait pas "le" candidat et qu'il voulait encore renverser le cours des choses - une attitude exactement inverse de celle de DSK. Un beau démarrage pour des primaires encore totalement ouvertes !
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