Emprunté au titre de l'un de ses chapitres, "un coeur sous le voile" résume bien la description, à contre-courant de toutes les caricatures sur le régime des mollahs, que François Nicoullaud a fait de sa dernière ambassade en Iran, pays faussement présenté comme étant seulement celui de la révolution islamique et dont il s'efforce de faire découvrir, derrière le voile, la richesse et la sensibilité.
"Le turban et la rose" est le vrai titre de cet ouvrage (publié chez Ramsay) très fin, critique mais jamais agressif, ironique mais tendre, très proche d'un peuple iranien qui est, on l'oublie souvent, la première victime d'un régime aussi peu populaire et dont le président Ahmadinedjad donne au monde extérieur une vision extrême. Le sous-titre nous donne du reste les clés de cette analyse résolument subjective : "Journal inattendu d'un ambassadeur à Téhéran : à la découverte d'un autre Iran".
Cet autre Iran profond, on peut dire qu'il l'a arpenté, sondé, exploré, devenu rapidement un parfait connaisseur de la langue persane, se promenant en toute discrétion avec son épouse Christiane non seulement dans les ministères et les administrations mais dans les bazars, les villages, les villes impériales, les campagnes les plus reculées. Ici, on le voit sur le toit d'une petite mosquée-mausolée du sud de Téhéran, dont il avait apprivoisé le gardien et qu'il connaissait comme personne, faisant découvrir à ses amis l'intimité architecturale de la double coupole, une riche coupole en briques émaillées à l'extérieur et une plus petite en briques à l'intérieur, donnant sa fraîcheur à l'édifice et sa légèreté à la structure.
Jamais fastidieux, ce livre emmène le promeneur depuis les pique-niques familiaux jusqu'aux embouteillages paroxystiques de la capitale, du bazar frondeur au monde infiniment complexe des mollahs, dont il perçoit bien que l'emprise est bien moindre sur la population que celle des imams wahhabites sur certains pays du Golfe. Au-delà de l'Islam, la civilisation perse est ancienne et n'a rien à voir avec le monde arabe voisin - mais lui-même ne s'autorise pas de tels raccourcis et suggère à petits coups de pinceaux légers plus qu'il n'affirme, fidèle aux mosaïques, aux peintures iraniennes et à leurs teintes toujours douces.
Ce regard léger, sans être jamais superficiel, il le pose aussi sur l'une des inquiétudes de notre monde, celui de la prolifération nucléaire. Et commence par rappeler que c'est le Shah qui, après avoir ratifié le traité de non-prolifération en 1970, contrairement à l'Inde, au Pakistan et à Israël, avait lancé un ambitieux programme de centrales nucléaires civiles, avec le soutien de l'Allemagne, des Etats-Unis et de la France. Et c'est l'ayatollah Khomeiny qui, arrivant au pouvoir en 1979, avait déclaré le nucléaire "haram" et avait fait fermer la centrale allemande en construction en dispersant les équipes d'ingénieurs.
Il a fallu la guerre déclenchée par l'Irak à l'été 1980, l'utilisation par l'Irak d'armes de destruction massive notamment chimiques contre l'Iran, pour que ce pays décide de revenir sur la maîtrise de l'énergie nucléaire, mais après avoir perdu ses compétences et en en confiant la responsabilité à la branche la moins outillée du régime : "les Pasdarans, quel que soit leur zèle révolutionnaire, n'ont guère de compétences en matière nucléaire". Leur incompétence leur vaudra finalement d'être déchargés du programme nucléaire civil au profit de l'Organisation iranienne de l'énergie atomique (OIEA), les Pasdarans recevant comme "lot de consolation" le programme des vecteurs balistiques. Sans pouvoir exclure qu'ils aient conservé un programme secret de nucléaire militaire, l'ambassadeur met sérieusement en doute leur capacité techique à mener à bien un tel programme.
Prudence excessive d'un diplomate, coupable d'avoir trop sympathisé avec le pays qu'il a appris à aimer ? Son cas ne serait pas le premier. Mais l'exemple inverse de l'Irak, où le danger d'armes de destruction massive a été démesurément grossi par les adversaires du régime baassiste jusqu'à ce qu'on découvre qu'il n'en existait rien ou presque, reste traumatisant. Compte tenu qu'il faudra encore des années, selon lui, pour que l'Iran réussisse à se doter d'une capacité nucléaire militaire, et compte tenu qu'il restera toujours des partisans d'un armement nucléaire, il ne dit absolument pas qu'il faut faire confiance aux dirigeants iraniens : "leur faire confiance, non, assurément. (...) Mais si l'on ne peut combattre les intentions, on peut bloquer les capacités". Négocier, "puisque l'Iran proclame aujourd'hui ses intentions pacifiques" pour mettre en place "avec l'AIEA, dont c'est la spécialité, un accord viable et vérifiable, un accord bordant ses activités d'alarmes suffisamment sensibles pour se déclencher à toute nouvelle infraction qu'il pourrait être tenté de commettre".
L'usage de la force n'est donc pas exclu, mais il ne doit rester qu'un recours ultime, quand toutes les autre solutions auront échoué. Et pour conclure, ils nous cite ce proverbe iranien : "si l'on peut défaire le noeud avec les doigts, pourquoi y mettre les dents ?"
merci, Cher Pierre, de ta critique de mon livre, peut-être la plus complète, la plus fine que j'ai lue jusqu'à présent. On voit les vrais amis!
affectueusement
françois
Rédigé par : François Nicoullaud | 10 mars 2007 à 16:34