Débat inattendu sur la démocratie lancé par le président tunisien Zine el-Abidine Ben Ali, qui n'est pas un grand démocrate, mais qui interpelle la gauche italienne et, au-delà, les partis européens à propos du financement des partis : doit-on laisser dans l'opprobre éternel le dirigeant socialiste italien Bettino Craxi, mort en exil le 19 janvier 2000 en Tunisie ?
Le cadeau de Noël est arrivé sous la forme d'une décision présidentielle : Ben Ali inaugurera lui-même, le 19 janvier, une rue Craxi à Hammamet, station balnéaire où s'était réfugié celui-ci après avoir fui l'Italie pour échapper à une condamnation à cinq ans de prison pour corruption et recel d'abus de biens sociaux, dans le cadre de l'enquête sur le financement occulte des partis politiques.
Un pavé dans la mare politique italienne, restée traumatisée par l'opération "Mani Pulite" (mains propres) lancée en 1992 par un groupe de magistrats, laquelle avait avait abouti à l'inculpation non seulement de l'ancien président du conseil mais d'une série de responsables politiques et économiques, bouleversant le paysage politique italien.
Il ne s'agit pas de blanchir ceux qui se sont rendus coupables de fraudes à grande échelle. Il s'agit seulement de réparer certaines injustices, et de commencer à porter sur cette affaire un regard historique et non pas seulement polémique. La France connaîtra certainement ce débat un jour prochain, alors que quelques rares hommes politiques ont payé pour tous les autres, et pas aussi cher que Craxi, et que l'impunité reste acquise pour le plus grand nombre.
L'injustice, c'est que le procès Craxi a été porté devant la Cour de justice européenne, et que celle-ci a deux fois de suite condamné la justice italienne pour un procès non équitable et entaché de lourdes irrégularités de procédure. Et c'est aussi que Craxi a payé pour tout le monde, alors que l'un de ses successeurs, Silvio Berlusconi, a pu impunément modifier la législation talienne en faveur de ses intérêts personnels, qu'il s'agisse de la fiscalité sur son patrimoine ou du contrôle des chaînes de télévision, échappant à plusieurs poursuites pour corruption de magistrats ou subornation de témoins.
Classé encore aujourd'hui comme socialiste de droite, ou social-libéral, Bettino Craxi a payé aussi le fait de s'être opposé frontalement aux deux mammouths de la politique italienne qu'étaient alors la Démocratie chrétienne et le PCI, tout en lançant une rénovation profonde du PSI, et en protégeant des partis socialistes alors interdits dans leur pays comme l'Espagne, le Chili et la Grèce, et osant enfin signer un nouveau Concordat avec le Vatican en 1984.
Le même, après la chute du mur en 1989, proposera une "unité socialiste" regroupant le PSI, le PCI et les sociaux-démocrates du PSDI. Mais sa rivalité personnelle avec le parti de Belinguer, puis la mue radicale du PCI en parti des démocrates de gauche (PDS) en 1991, vont nourrir des rancoeurs tenaces à gauche qui l'isoleront au moment où il sera attaqué par les magistrats, d'autant qu"il avait accusé officiellement le PCI de recevoir des financements secrets de l'URSS.
Sa défense, elle sera ouverte et transparente : en séance publique au parlement, il expliquera que les partis étaient obligés de s'organiser pour fonctionner, faute de financement prévu par la loi. Il avait demandé si un seul des parlementaires présents était en règle avec la loi sur le financement des partis et, bien entendu, personne ne s'était levé. Mais il avait été littéralement lynché par les médias - le dessinateur Forattini le présentait toujours avec les bottes du Duce - et avait été bousculé un soir par une foule hostile à Rome.
Le président du conseil Romano Prodi, vieil adversaire de Craxi, a commenté l'initiative tunisienne en disant que c'était une bonne idée, et qu'on pourrait baptiser rue Craxi une rue à Sigonella, grande base militaire en Sicile. Une façon de rappeler que Craxi, chef du gouvernement, avait autorisé le transit du commando palestinien qui avait détourné le paquebot Achille Lauro et tué délibérément un handicapé américain, Leon Klinghoffer. Craxi avait alors menacé d'envoyer l'armée italienne si les militaires américains de la base interceptaient le commando, lequel avait pu regagner l'Egypte après avoir relâché le bateau et ses otages.
Réactions mitigées après ce commentaire, certains trouvant insultant que Prodi propose une base militaire qui n'a pas de rues, et non pas une ville. D'autres estimant qu'il était inacceptable de réhabiliter un condamné. Un vrai débat, qui met en lumière aussi l'éclatement de l'ancien PSI puisque ses responsables se retrouvent aussi bien à droite que dans le centre-gauche. Mais un débat sans lequel la gauche italienne ne saura cicatriser ses blessures et retrouver une cohérence majoritaire qui lui fait défaut aujourd'hui.
Sans attendre, deux petites communes ont déjà donné le nom de Craxi à une rue. C'est le début d'une réhabilitation. C'est aussi le début d'un débat apaisé, il faut le souhaiter, sur comment les démocraties européennes affrontent désormais le problème du financement des partis.
Craxi était un très charmant Monsieur qui aurait pu même améliorer la structure même de la République italienne!
Mais on nous dit qu'il a volé! Beaucoup! Si cela est vrai et dans le cadre de ses fonctions, Craxi ne peut être réhabilité!
"Entweder oder" comme on le dit si bien en allemand,
on ne peut être l'Un et l'Autre!
Bravo pour votre Blog et merci du partage!
Rédigé par : el greco | 01 janvier 2007 à 19:56
Cher El Greco, merci de votre commentaire. Si je pose la question à question à propos de Craxi, c'est que je pense qu'il faut aujourd'hui distinguer entre ceux qui, avant que le financement des partis soit organisé par la loi, ont contribué à financer leurs partis respectifs, de ceux qui ont réalisé un enrichissement personnel. Je n'ai pas le sentiment que le patrimoine de Craxi ait été enrichi par sa carrière politique, ce qui n'est pas le cas de nombre d'autres politiques, en Italie ou même en France. Et bravo pour votre site de "grand voyageur" (http://rachedelgreco.blogspirit.com), tout à fait intéressant ! PB
Rédigé par : Pierre Bayle | 01 janvier 2007 à 21:34