Il n'aura pas fallu longtemps pour que Ségolène Royal, ayant surmonté le cap des primaires internes au parti socialiste et réconcilié les "ouistes" et "nonistes" autour d'un même combat gagnant pour les présidentielles, rappelle son engagement pour l'Europe et affirme que, de même que la femme est l'avenir de l'homme (ça c'est Aragon qui le dit, pas elle), l'Europe est l'avenir de la France et que la France doit redevenir une des "locomotives" de l'Europe.
Cet engagement pour l'avenir, elle l'a pris dans un long discours, souriant et très applaudi, à l'occasion du 7e congrès du parti socialiste européen (PSE) réuni jeudi et vendredi à Porto par le premier ministre portugais. Un discours que la presse n'a pu citer dans son intégralité, parce qu'il était long, mais qu'elle a caricaturé en se focalisant sur la seule évocation par Ségolène de Jean-Claude Trichet et sans parler par exemple de l'hommage à "l'extraordinaire travail" de Jacques Delors, un hommage applaudi en présence de l'intéressé, au premier rang des présents.
Mais commençons par "l'affaire Trichet", puisque les journaux nous expliquent qu'il y a une polémique, expliquant que François Hollande se serait cru obligé de rectifier le tir en rappelant l'attachement de la France et des socialistes français à la lettre des traités - dont celui qui régit le fonctionnement de la BCE. On lit de plus en plus que Ségolène se trompe parce qu'elle ne connaît pas ses dossiers et qu'elle improvise, en accumulant les dérapages. Mais il suffit de regarder la vidéo (lien ci-dessus : attention, quand on l'ouvre il télécharge automatiquement le discours) pour constater qu'elle lisait attentivement un discours dont elle tournait les feuilles, et qu'elle n'avait pas l'air d'improviser. Du reste ceux qui portent ces accusations ne lisent jamais ses discours en entier mais se contentent de citer les extraits "coupés-collés" par les médias.
Sur le fond, j'avais lu la veille des articles préoccupés sur la hausse des taux d'intérêts engendrée par les taux de la BCE, hausse qui frappe les particuliers et surtout ceux qui empruntent ou sont endettés, donc les catégories sociales les plus défavorisées. Dire que l'Europe ne peut pas être sacrifiée au dogme de la devise forte, c'est une responsabilité d'homme (et de femme) politique face à un électorat qui ne voit de l'Europe que l'aspect pénalisant, en perdant de vue son "désir d'avenir", et finit pas voter contre, on l'a vu.
Dire que l'action de la BCE doit être menée en cohérence avec une politique communautaire faite en accord avec les pays de l'Union semble donc une évidence. La préoccupation de l'Euro fort est aujourd'hui d'actualité dans tous les pays européens, notamment en Italie, et les acteurs économiques de toutes catégories, y compris les industriels français, se plaignent d'un ratio Euro/Dollar qui constitue une véritable rente de situation pour l'industrie américaine à l'exportation. Certains journaux ne s'y sont pas trompés comme La Tribune qui titrait : "Ségolène critique l'omnipotence, pas l'indépendance de la BCE".
Le reste du discours vaut pourtant la peine d'être découvert, parce qu'il est riche et réfléchi, ou alors quel talent dans l'improvisation ! Ainsi, quand Ségolène dit aux Européens qu'ils ne sont pas assez conscients de leur situation de privilégiés : "il suffit de sortir des frontières européennes pour sentir l'attente immense envers l'Europe là où ça va mal".
Cette attente est pour elle celle d'un rôle plus actif de l'Europe, face à un monde qui jamais "n'a eu autant besoin de règles justes : nous devons aller vers de nouveaux équilibres en refusant de réduire l'avenir au choc des civilisations, car ceci est infiniment périlleux pour la sécurité collective". Un "ordre juste", thème qu'elle a déjà développé au niveau national, mais au niveau mondial, avec "plus d'interdépendance entre les continents".
Hommage ému aussi à Walid Joumblatt, chef du parti socialiste progressiste (PSP) libanais qui l'avait reçue la semaine dernière à Beyrouth et qui a "pris le risque de sortir" du Liban pour venir à Porto malgré l'incertitude de la situation. Joumblatt qui, comme d'autres dirigeants au Proche Orient dont le chef de l'autorité palestinienne Mahmoud Abbas qu'elle a vu à Gaza, a "désespérément" besoin d'une attitude de l'Europe plus cohérente et plus active pour la recherche de solutions de paix.
Vision très politique enfin, d'une Europe qui ne se réduit pas à un marché et à des règles intérieures mais porterait au contraire une ambition forte de rayonner dans le monde et de contribuer à la paix et à l'équilibre international, à l'image de ce qui a été fait pour la construction de l'Europe d'après-guerre : l'Europe de la réconciliation entre pays qui s'étaient affrontés, faite par la génération qui avait vécu ces combats. On est très au-dessus de la BCE !
(Photos extraites du site du PSE et site belge 7sur7.be)
Il s'agit de JEAN-CLAUDE Trichet et non de Michel ...
Pour permettre la réorientation du rôle de la BCE, il faut que le Traité Constitutionnel soit ratifié : c'est un préalable juridique! Tant pis pour ceux qui, à gauche, vont devoir manger leur chapeau ...
Rédigé par : Jacques Heurtault | 10 décembre 2006 à 11:56
Bonjour Pierre,
Je ne partage pas totalement votre analyse, notamment sur la BCE. Ses déclarations me semblent d'ailleurs encore plus graves si elles étaient lues et non improvisées.
Le fait que F.Hollande ait du corriger le tir est révélateur, il y avait transgression des règles ( cf mon article de ce matin). Et la contestation euro fort/BCE est bien la marque d'une différence française que l'on ne retrouve pas (ou très peu) dans les autres pays européens. La plupart réussissent mieux que la France avec les mêmes règles européennes, encore un mal français! En ce qui concerne l'Italie la contestation anti-euro est circonscrite dans les milieux berlusconniens et souverainistes du nord, pas chez Prodi, qui souvenons-nous avait lutté pour que l'Italie fasse partie de l'euro, lorsqu'il était président du conseil la première fois.
Cordialement,
Catherine
Rédigé par : catherine | 10 décembre 2006 à 12:17
Merci à Jacques pour m'avoir signalé l'erreur de prénom. J'ai aussitôt rectifié la note. Pour lui et pour Catherine : ce n'est pas simplement une affaire de mécanisme institutionnel, c'est la constation qu'une politique monétaire ne peut remplacer une politique économique, industrielle ET sociale. Le problème de la parité Euro/Dollar n'est pas une lubie franchouillarde, ni limité à la Ligue lombarde, il est vécu par l'ensemble des milieux industriels italiens, français, allemands et espagnols. Les industriels britanniques n'ont pas ce problème, puisqu'ils ont encore la Livre...
Rédigé par : Pierre Bayle | 10 décembre 2006 à 13:36
Pierre a raison. On ne peut pas laisser les monétaristes faire la pluie et le beau temps. Autant il faut combattre la mortelle tentation de laisser filer la monnaie pour dégager de la souplesse "politique" (parce qu'il y a un violent retour de baton au bout du cycle), autant il faut qu'une politique économique coordonnée au niveau européen puisse être conduite afin que la nécessaire économie de marché ne devienne pas une société de marché où TOUT est uniquement régulé par la monnaie.
Or, la gauche anti-libérale n'a jamais voulu admettre que pour pouvoir infléchir la fonction de la BCE, il fallait que le TCE soit d'abord adopté ...afin que la plupart des décisions qui se prennent actuellement à l'unanimité puissent l'être, après cette adoption, à la majorité qualifiée, y compris certaines modifications mineures de la partie III du traité ...
Que Ségolène Royal ne commette pas l'erreur de dire, que tout compte fait, ce sont les nonistes qui ont raison! Je me verrai CONTRAINT de l'éliminer de mon trio (Bayrou, Ségo, Sarko) sélectionné (je voterai nécessairement pour un porteur du OUI).
Faites le lui savoir, Pierre!
Rédigé par : Jacques Heurtault | 13 décembre 2006 à 15:47