Polémique sanglante dans la tranquille cité sévrienne : depuis que quelqu'un a proposé, le jour de son enterrement, de rebaptiser le prestigieux lycée de Sèvres en lycée Jean-Pierre Vernant, mon mail ne désemplit pas de prises de position "pour" et "contre", comme si le match Ségo-Sarko avait été provisoirement oublié. Mais le débat en vaut la peine, et n'est pas si provincial que ça.
Au départ, une pétition sur le blog de l'ancien maire, Roger Fajnzylberg. Qui explique toutes les bonnes raisons que Sèvres a de s'ennorgueillir d'avoir le grand Helléniste dans son patrimoine. Un appel relayé par le blog du secrétaire PS de Sèvres Jacques Blandin. Et ces raisons sont toutes valables et universelles, au point que, de prime abord, Sévriens de droite et de gauche semblaient tous d'accord sur l'idée. Le maire, François Kosciuzko-Morizet, indique dans son propre blog qu'il souhaite obtenir l'unanimité du conseil municipal pour baptiser le lycée du nom de Jean-Pierre Vernant. "Si j'étais aujourd'hui un lycéen de 15 ou 16 ans, je serais fier d'être inscrit au Lycée Jean-Pierre Vernant", écrit pour sa part Jacques Ernest sur un forum de discussion.
Ayant moi-même étudié le Grec pendant quatre ou cinq ans (je crois qu'on n'en faisait plus en terminale), j'étais à l'époque choqué qu'on nous traite "d'Hellénistes distingués", comme pour mieux souligner qu'il s'agissait d'une espèce en voie d'extinction. De moins en moins nombreux à apprécier la fameuse question "où qu'est la bonne Pauline..." dont je censurerai la suite, car en grec du quartier latin c'était "ouk elabon polin, elpis ephè kaka allà gar apasin" (ils ne prirent pas la ville, car l'espoir a dit de mauvaises choses à tous).
Jean-Pierre Vernant, au contraire, était un Helléniste populaire. De ceux qui ont tout fait pour vulgariser une culture et une langue qui étaient tout sauf mortes. Une langue qui est encore intensément présente dans le Français moderne, une culture qui a fondé les valeurs de notre démocratie et de notre civilisation européenne. Mais il y a eu suffisamment d'hommages rendus ces deux dernières semaines pour en rajouter.
Une Sévrienne s'étonne de ce nom, alors que le Grec est marginalisé au Lycée. Une autre, Lovely Janin, lui répond : "justement, c'est parce que cela a été difficile à ta fille Ludivine qu'il faut dénommer ce lycée Jean Pierre Vernant pour que l'étude du grec soit toujours d'actualité et qu'au contact de ce personnage hors du commun de nombreux élèves aient envie de continuer à étudier cette langue "morte" qui aujourd'hui connait un grand regain d'interêt. Alors que l'esprit de Jean Pierre Vernant souffle sur ce lycée, et celui ci ne pourra que mieux s'en porter".
Le débat est devenu âpre, sans aucun clivage en rapport avec la politique. Et je remarque que si Jean-Pierre Vernant a été résistant et communiste, mais suffisamment libre pour prendre ensuite du champ avec le PCF, personne aujourd'hui ne met en question ses idées politiques pour contester sa légimité, et c'est un sentiment unanime de fierté qui lie les Sévriens à l'image de Vernant.
Non, il y a autre chose, relevé dans plusieurs messages : le lycée de Sèvres est à part, il doit rester tel, nous dit-on. En fait, j'ai compris : ce lycée a un vieux complexe, il ne s'appelle pas "lycée international de Sèvres", mais "lycée de Sèvres à sections internationales". "Le lycée de Sèvres n'a pas de nom, chose rarissime, explique Michel Volkovitch. Pourquoi ? parce que c'est un lycée à part. Concitoyens, chers amis, allons-nous accepter que le fleuron de notre cité rentre brutalement dans le rang ?"
Et Marie-José Sagnier de surenchérir : "ce lycée est connu dans le monde entier sous le nom de lycée de Sèvres, il attire de partout des gens vers Sèvres et vers la France. Si on souhaitait le rebaptiser Marie Curie, Gambetta, Balzac, Lulli ou tant d'autres qui ont marqué notre ville, je réagirais de la même façon. Sèvres, c'est tous ces êtres illustres à la fois, c'est Sèvres, quoi !"
Curieusement, ce sont les parents les plus tournés vers l'étranger, vers les parents d'élèves d'autres pays dont les enfants sont dans les sections internationales, qui semblent redouter une perte de dimension internationale. Vernant, un franchouillard ! C'est énorme. A ceux-là, qui craignent une baisse de standing de notre lycée, je propose un nom qui le situera très au-dessus des autres : nous pourrions l'appeler "lycée Henri VIII", deux fois mieux que le prestigieux lycée Henri IV et cela fera plaisir à nos amis anglais...
Petite précision : je viens de trouver la traduction exacte de la citation de Pauline, sur le site "arbredor" :
"Les pédagogues de la langue homérique le savent : le seul exemple grammatical qui franchit jamais les frontières de leur discipline est une petite phrase de Xénophon à laquelle la prononciation donne une allure de plaisanterie d'école primaire : Ouk elabon polin alla gar elpis efe kaka. Xénophon a écrit : « Ils ne prirent pas la ville, car ils n’avaient pas l’espoir de la prendre. » La phonétique érasmienne veut que la phrase soit prononcée, sur les cours de récréation : « Où qu’est la bonne Pauline ? A la gare, elle pisse et fait caca. » La règle de syntaxe qu’elle illustre est totalement inoubliable."
Rendons à Xénophon...
Rédigé par : Pierre Bayle | 28 janvier 2007 à 08:38
Bonsoir, Pierre!
Aucun doute n'est désormais permis! En te lisant on devient plus cultivé et plus intelligent ... J'en prends bonne note!
(référence à "ouk elabon polin ...")
Rédigé par : Jacques Heurtault | 05 février 2007 à 20:34
Jacques merci de tes commentaires trop élogieux : venant d'un blogueur de ton niveau (comment trouves-tu le temps d'écrire autant ?), je suis flatté ! Pierre
Rédigé par : Pierre Bayle | 07 février 2007 à 21:20
Bonjour, je suis lycéenne au Lycée de Sèvres et je suis contre l'adoption du nom de JP Vernant. Je prefere que le lycée n'est pas de nom. Je le respecte beaucoup mais je (et pas seulement moi) suis opposée a cette décision.
Rédigé par : Lunel | 12 septembre 2007 à 14:45
Ouk elabon polin alla gar elpis efh kaka
Ils ne prirent pas la ville (contrairement à la rumeur) mais en effet l’espoir est trompeur (dit des choses fausses)
Rédigé par : chouette | 13 novembre 2007 à 16:42
Merci Chouette, tout est en effet dans la parenthèse : mes professeurs ne m'avaient pas donné la précision de "contrairement à la rumeur", qui donne un sens autre que potache à la phrase. Comme quoi il n'est jamais trop pour apprendre, merci !
Rédigé par : Pierre Bayle | 14 novembre 2007 à 21:24
Ah, la blague est bien universelle, au Québec on disait "Oh qu'elle est bonne, Pauline..." Mais je ne me souviens pas de "la gare".
Dans le contexte électoral des États-Honnis, la tentation était irrésistible de rebaptiser Pauline! Je vous invite à lire mon billet qui sera publié le 2008-10-26
Rédigé par : RJF | 24 octobre 2008 à 18:05