Cinquante ans après la création du Marché Commun par le Traité de Rome, l'Europe fête aujourd'hui à Berlin le cinquantenaire d'un super-marché : en cinquante ans d'efforts, avec pour ciment principal l'idéologie libérale, le risque est en effet que faute d'avoir édifié une maison commune européenne, on n'en soit qu'à une grande surface dont la seule valeur commune, et encore inégalement partagée, serait l'Euro.
Ne gâchons pas notre plaisir de voir les festivités se dérouler à Berlin et l'Allemagne réunifiée replacée au coeur d'une construction européenne désormais pacifique et démocratique, la paix et la démocratie étant des valeurs qu'il faut continuer à défendre car elles restent toujours fragiles, a rappelé la chancelière Angela Merkel. Symbole inaperçu mais fort pour nous, les premières mesures de la 5e symphonie de Beethoven, jouée samedi soir à Berlin avant l'Hymne à la joie qui conclut la 9e symphonie et qui a été adopté comme l'hymne européen, ces premières mesures étaient l'indicatif bien connu de la radio de la France libre, le "ta-ta-ta-tom" qui redonnait courage aux combattants de la démocratie contre la domination totalitaire de l'Europe...
Que la fête se passe à Berlin, et non à Rome ou à Paris, ne doit donc pas susciter du dépit mais au contraire nous donner la fierté de comprendre que plus qu'aucune alliance militaire, c'est le rayonnement de l'Union européenne qui a mis fin durablement à la guerre froide et permis la réunification d'une Europe articiellement divisée depuis 1945. Il faut remarquer à ce sujet que l'élargissement de l'Union ne semble pas poser de problèmes à nos voisins russes, alors que l'élargissement de l'OTAN est encore perçu, à tort ou à raison, comme agressif, comme l'illustre la nouvelle crise née du projet de déployer des défenses anti-missiles en Pologne.
Mais en attendant la publication ce soir d'une déclaration commune, on sait qu'en substance les participants à ces festivités ont décidé de se donner rendez-vous en 2009 pour arriver à sortir l'Europe de la crise où elle a été placée par le projet de Constitution européenne et par les votes négatifs de la France et des Pays-Bas, la faute étant également partagée entre ces pays qui ont dit non et les rédacteurs d'un projet trop touffu et insuffisamment mûri.
Il se passera encore beaucoup de temps avant qu'on trouve un accord sur les solutions pour sortir de cette crise. Le débat électoral en France prouve bien que nous sommes encore loin d'un consensus entre Français. Mais contrairement à Nicolas Sarkozy, qui est en faveur d'une version raccourcie et simplifiée, je pense que Ségolène Royal a raison quand elle dit que le contenu actuel a besoin, quelle qu'en soit la forme, d'être enrichi sur le fond par un volet social et de valeurs : le libre-échange n'a jamais forgé une communauté de destin et le texte fondamental de l'Europe ne peut être réglé par des techniciens et des parlementaires sans une implication et une adhésion forte des peuples.
Entendons-nous bien, l'Europe des marchés est faite, c'est un acquis sur lequel il ne faut surtout pas revenir. Mais il manque le volet social et sociétal, les droits devant être assortis de devoirs, la reconnaissance des peuples, des cultures et des valeurs devant être également intégrée.
Contrairement à ce que prétendent certains pro-Européens qui pensent avoir le monopole de l'idée européenne et traitent de "nonistes" tous ceux qui ne pensent pas comme eux, il existe une aspiration profonde des peuples d'Europe à ce que soit reconnu ce qui fait aujourd'hui notre spécificité dans le monde : une valeur exigeante de la démocratie et des droits de l'homme, étendue aux droits sociaux de l'individu et assortie d'un respect des droits des peuples et d'un respect du droit international et des principes fondateurs des Nations unies qui sont contraires à tout unilatéralisme ; une conception exigeante aussi de la lutte pour l'environnement mondial, avec le respect de règles et d'une discipline commune dont le protocole de Kyoto est un exemple fort ; une conception exigeante enfin des rapports commerciaux dans le monde, ce que la candidate socialiste appelle "l'ordre international juste", qui ne se contente pas d'imposer le libre-échange aux pays les plus vulnérables mais pose comme principe la solidarité entre pays riches et pays pauvres et la responsabilité des grandes puissances par rapport au désordre économique mondial.
Même si la finalité du propos n'est pas exactement la même, la prise de position du pape Benoit XVI est révélatrice de ce déficit constaté de la construction européenne : "On ne peut pas penser construire une vraie maison commune européenne en négligeant l'identité propre des peuples de notre continent", a-t-il dit lors d'une conférence des évêques européens réunis au Vatican pour fêter ce 50e anniversaire ; "une identité historique, culturelle et morale (...) constituée d'un ensemble de valeurs que le christianisme a aidé à forger".
Formulée ainsi, la définition est acceptable car elle ne prétend pas que le christianisme a forgé à lui seul les valeurs de l'Europe, mais qu'il a "aidé" à les forger. Aux côtés des valeurs juives, qui font totalement partie de notre patrimoine et de notre civilisation, mais aussi aux valeurs musulmanes car, sans entrer dans la discussion sur les apports culturels de la civilisation arabo-islamique à l'Europe depuis le Moyen-Age, un échange enrichissant dans les deux sens, il ne fait pas oublier non plus la contribution des musulmans des colonies françaises à la libération de la France et au rétablissement de la démocratie en Europe : Européens par le sang versé, comme en témoignent ces cimetières militaires en Italie, en France et en Alllemagne dont je ne me lasserai jamais de parler.
Bonsoir Pierre,
Un petit détail, lorsque tu dis "l'Europe des marchés est faite", je crains que non, même si des progrès considérables pour la libre circulation ont été faites. Il y a bien sûr l'harmonisation fiscale qui devrait être une grande priorité au niveau européen, mais il y a aussi un tas de "détails ?" qui font que le marché européen intégré ne fonctionne pas de façon optimale : 2 exemples, les tarifs postaux homogènes, le timbre européen, l'autre sur base d'une expérience personnelle, la vente sur internet, sais-tu que pour exporter à partir de PACA, les transporteurs français demandent 3 fois plus si on veut exporter à Bruxelles ou Cologne, plutôt que Lille, tout ça parce que les 2 premières villes sont étrangères ! Il y a vraiment un besoin de pédagogie globale et les politiques devraient aider, pas freiner.
Cordialement,
Catherine
Rédigé par : Catherine Guibourg | 25 mars 2007 à 20:18
Catherine, je suis évidemment entièrement d'accord : il n'y a pas de "marché domestique européen" dans certains secteurs comme l'industrie de défense, et l'absence de société de droit européen et d'harmonisation des règles d'exportation intra-communautaire est un véritable cauchemar. Mais globalement, tu conviendras que la construction européenne est plus visible dans la libre circulation des personnes et des biens que dans la plupart des autres domaines. Cordialement à toi,
Pierre
Rédigé par : pierre bayle | 26 mars 2007 à 00:21