Le jour même où Tony Blair partait, le réformisme européen gagnait une nouvelle figure emblématique avec la candidature officielle de Walter Veltroni, présentée mercredi soir à Turin, à la direction du nouveau Parti Démocrate (PD). Avec la désignation de Veltroni, qui sera démocratiquement entérinée lors d’un congrès constituant, le 14 octobre prochain face à des concurrents divisés, la nouvelle gauche italienne concrétise ce que Romano Prodi avait commencé en réunissant une large coalition de centre gauche : fonder un nouveau Parti Démocrate décomplexé et libéré des idéologies traditionnelles, sans renoncer aux valeurs portées par ses différentes sensibilités mais avec une approche « sincère, pragmatique et non idéologique » de la politique.
Le lent cheminement de la gauche italienne, surtout grâce à la refondation du PCI devenu avec Achille Occhetto et Massimo D’Alema le parti « Démocrate de Gauche » (DS), a permis la lente mais solide réconciliation de la famille marxiste avec la famille catholique, le PCI et la DC réunis en une même famille, Don Camillo et Peppone militant dans la même mouvance et ramenant à la maison les composantes éclatées de la famille socialiste. Le discours de 90 minutes de Veltroni, qui pensait parler devant deux mille personnes et en a rassemblé cinq mille dans plusieurs salles avec des écrans sur le site historique du Lingotto, a pris lui aussi une dimension historique malgré, ou à cause de, sa banalité.
C’est un travail générationnel, le résultat de décennies d’efforts. L’ancien président du Conseil démocrate-chrétien, l’octogénaire Ciriaco De Mita, réagit en refusant de monter sur le train de « ce parti à l’américaine » : c’est la fin d’une époque. Beaucoup d’anciens leaders DC ou de la gauche, même plus jeunes, apparaissent brusquement vieillis ou hors course. Lui-même prétend rejeter un système partisan rigide « où chacun peut opposer son veto et personne n’a le droit de décider ». Car « l’excès de décision peut être appelé dictature, mais on peut aussi perdre la démocratie par défaut de décision ».
Soutenu par le « professeur » Prodi dont il a été vice-président du Conseil, sans être sa créature, « Wonderful Walter » a fait ses preuves comme maire de Rome, élu en 2001 et renouvelé jusqu’en 2011. Diriger avec succès une capitale peut être le tremplin idéal, Chirac l’avait compris et Delanoé aussi. Ancien des Jeunesses communistes et ancien élu du PCI, son idéologie est aujourd’hui une forme de positivisme appelée par ses détracteurs le « Buonismo », le bonisme, défini comme « la manifestation ostentatoire de bons sentiments, de tolérance et de bienveillance envers ses adversaires ». Ses figures tutélaires ne sont plus Marx ni Gramsci mais Saint François d’Assise, Kennedy, Martin Luther King et Mère Teresa.
La séduction pour convaincre et pour répondre à toutes les attaques, c’st bien plus qu’un Sarkozy de gauche : Veltroni cultive un humanisme qui lui fait croire en l’Homme, avec ce qu’il faut de naïveté pour rester généreux et ne jamais céder au cynisme en politique. En comparaison, son rival de toujours et comme lui au départ journaliste communiste, Massimo D’Alema, apparaît anguleux, agressif, polémique… et trop marqué à gauche. Veltroni apparaît d’emblée comme celui qui saura réconcilier la gauche et la droite, mais aussi le nord industrieux et le sud idéologique… Le maire de Rome opère cette réconciliation mille fois mieux que le Milanais Berlusconi, empêtré entre dogmatisme néolibéral et affairisme cynique.
Et sans apparaître comme un doux rêveur, mais comme un responsable au sens plein du terme, ce militant tiers-mondiste qui a emmené des étudiants romains plusieurs années de suite en Afrique pour les sensibiliser au développement, n’hésite pas à tenir un discours sécuritaire qui aurait fait hurler en France : les immigrés sont les bienvenus s’ils viennent en respectant la légalité, mais il faut appliquer la loi avec « sévérité et fermeté » à ceux qui viennent « pour faire du mal aux autres ou pour exploiter les femmes et les enfants » et pour lesquels la justice doit agir « sans conditions ni hésitations ». Mais justement, son militantisme tiers-mondiste l’exonère de tout soupçon raciste.
Un discours qui fera écho en Europe, puisque Veltroni veut sortir des majorités bloquées et « conquérir un électorat différent » ; rejeter l’alternance rigide « comprise comme un modèle où l’on efface tout ce qui a été fait par le gouvernement précédent », car on peut « reconnaître, parfois, que l’autre camp a pris des décisions justes, dans l’intérêt général ». Et son message d’espoir, étonnant et contrastant avec la realpolitik : « la politique n’est pas une promenade solitaire dont on choisit les étapes et les trajets ; c’est un merveilleux voyage collectif. Faisons-le, pour une fois, dans l’allégresse ». Alors qu’en France, on en est à signer des pétitions pour inciter les formations de l’opposition à s’unir, en Italie l’opposition est revenue au gouvernement pour y pratiquer… le développement durable.
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