Chrétiens d'Orient ignorés, repoussés, exilés, déracinés : le cri du coeur d'un ami libanais enterrant son oncle aux cinq exils successifs résume bien cette souffrance à la fois objective, celle d'être rejetés par un islam qui se referme et les rejette comme encore aujourd'hui en Irak, et subjective, celle d'être considérés par l'Occident comme des chrétiens exotiques, voire des survivances d'un passé révolu.
Sous le titre "Les 5 exodes d'un chrétien errant", Elias Austa, qui après une longue carrière de journaliste à l'AFP partagée entre le Liban et un exil chypriote se consacre aujourd'hui à l'enseignement des jeunes dans un collège chrétien du nord du Liban, raconte l'aventure exemplaire et pourtant si fréquente de son oncle Georges, auquel il dédie cette "Opinion" publiée par L'Orient le Jour, excellent quotidien de Beyrouth.
Je ne vais pas la paraphraser, il faut la lire avec ses mots, son émotion et sa colère rentrée. Juste résumer ce parcours incroyable : Georges est né en 1925 à Jaffa, en Palestine, d'un père ayant fui avec sa famille l'armée turque qui occupait le Liban. En 1948, la guerre d'indépendance d'Israël les chasse vers l'Egypte. La crise de 1956 leur fait quitter Port-Saïd avec les Britanniques pour se réfugier à Chypre. 1974, cette fois c'est l'invasion turque du nord de Chypre qui les chasse vers Beyrouth... où, dès l'année suivante, la guerre civile les chasse vers la Jordanie, avant qu'il s'établisse finalement à Londres où il vient d'être enterré.
"Aujourd'hui mon oncle aux cinq exodes est mort. Il ne veut aucune pitié pour lui, ni pour sa famille. Ses fils et neveux ont tous fait des carrières brillantes, errant entre Hong-Kong, Londres, Montréal et Washington. Lui-même, et malgré ses cinq recommencements à partir de zéro, a vécu dans la joie, la foi et la fierté de ses origines arabes, libanaise de sang, palestinienne de naissance, son éducation pluraliste et polyglotte, et une culture maintenue jusqu'au bout par les lectures et les voyages".
Chrétiens du Liban, de Palestine, d'Egypte, de Syrie, d'Irak, j'en ai connu et j'en connais encore beaucoup, la majorité déracinés malgré leur parfaite intégration. Beaucoup sont des modèles de réussite sociale et culturelle. Tous férus de connaissances et à cheval sur plusieurs cultures. Des nombreux amis que j'ai connus à Beyrouth, quelques rares y sont restés, très peu y sont retournés après un long exil. La majorité vivent et ont brillamment réussi à Paris, à Londres, à Rome, aux Etats-Unis, au Canada. Avec la même fierté et la même joie de vivre que ce Georges qui les résume tous.
Et la même frustration rentrée d'une indifférence qui se prolonge et pousse de nouvelles générations de chrétiens d'Orient à l'exil. Un déni d'histoire, une lâcheté collective. Le génocide arménien est un débat qui commence à occuper les consciences, à cause de son ampleur numérique, à cause du fait qu'il est historiquement et géographiquement identifié. Mais au-delà, ce sont des générations de chrétiens d'Orient qui continuent à souffrir et à subir, comme si c'était inéluctable. Premières victimes de la montée de l'islamisme, ils en sont aussi les meilleurs témoins. Le journaliste Antoine Sfeir, dans ses Cahiers de l'Orient, ne dit rien d'autre quand il analyse le reflux des chrétiens d'Orient comme un échec de l'Occident. Notre échec face à une violence qui, avant d'être militaire ou terroriste, commence par une intimidation culturelle et spirituelle.
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