Article important d'Henri Tincq, dont pourtant je ne partage pas toujours les analyses trop romano-centrées, sur le retour du latin dans l'église catholique et ses conséquences sur les catholiques français, sous le titre La France et le schisme traditionnaliste, dans Le Monde daté de lundi.
Important et utile car il nous rappelle que, derrière les bagarres apparemment limitées au rite et à la longueur des soutanes, c'est toujours l'affrontement quadri-séculaire de la Contre-Réforme contre "la Rome de tendance néoprotestante et néomoderniste", la défense de "la Révélation contre la révolution", les "devoirs de l'Homme envers Dieu plutôt que ses droits".
Le rétablissement du latin, c'est donc le retour à une vision et une pratique élitistes de l'église, contre Martin Luther et son effort pour "vulgariser" la religion en traduisant la Bible dans la langue des peuples plutôt que dans celle des clercs.
Toujours fidèle défenseur du catholicisme, Tincq valorise en contrepoint des dérives intégristes tout l'héritage progressiste et moderniste des catholiques français qui ont "changé le regard des catholiques sur le monde moderne, permis un fonctionnement collégial de l'Eglise, admis le droit de chaque homme à la liberté de religion et de conscience, ouvert une ère de dialogue avec les autres confessions chrétiennes, avec les juifs et les musulmans".
Et de conclure, interrogatif : "personne ne reprochera au pape Benoît XV de vouloir tenter de réintégrer ses brebis perdues, mais comment ne pas redouter qu'une fraction, même minoritaire, de traditionnalistes - la Résistance catholique - ne tente de conquérir des positions de pouvoir à Rome, dans le clergé français et d'infléchir le meilleur des options catholiques des quarante dernières années ?"
Naïveté ou angélisme, Tincq ne dit pas un mot des positions déjà prises à Rome par l'Opus Dei ni de sa stratégie européenne, de la marginalisation des ordres, congrégations et individus les plus progressistes, de la mise en sommeil de l'oecuménisme... Seuls les intégristes seraient-ils capables de détourner l'église du message évangélique, eux seuls seraient-ils coupables des tentations réactionnaires ?
Pas un mot non plus des progrès alarmants de toutes les idées les plus rétrogrades à travers le monde protestant, sous l'influence des néo-conservateurs américains et des sectes les plus agressivement réactionnaires, notamment les Créationnistes partis en guerre contre le Darwinisme. Aucun rapport ? Au contraire, ce n'est pas le seul catholicisme qui connaît des remous, c'est tout le christianisme qui est en crise, das un monde qui pourtant, plus que jamais, a besoin des valeurs chrétiennes !
On glose dans les ouvrages historiques sur les complicités présumées de telle confession avec les dictatures, sur la passivité de Pie XII face au nazisme, ou sur la connivence des catholiques polonais ou des luthériens suédois avec l'occupant nazi persécutant les juifs. Mais c'est oublier que le problème se situe toujours bien en amont : les dictatures, comme l'antisémitisme, fleurissent et se consolident quand les sociétés démocratiques perdent le sens des valeurs morales et spirituelles; cela reste aussi vrai aujourd'hui qu'hier.
La fameuse polémique sur les racines chrétiennes - ou éventuellement judéo-chrétiennes - de l'Europe n'a de sens que si on prolonge ces racines vers le futur. L'Europe ne sera épanouie et équilibrée que si elle se fonde sur des valeurs communes d'entente, de générosité et de compréhension mutuelle : avec ou sans la latin, le grec ou l'hébreu, mais dans la seule langue qui compte, celle du coeur.
Je découvre ce site qui est vraiment intéressant. Une petite remarque : le rite latin était-il "élitiste" ? est-ce l'adjectif le plus juste ? Il avait aussi un côté populaire,en ne faisant, apparemment du moins, acception de personne ; et aussi pour d'autres raisons. Mais l'affaire est complexe.
Rédigé par : cl. wagnon | 12 août 2007 à 20:22
Merci pour votre appréciation. Quant au qualificatif élitiste, il est certain que lorsque Constantin a fait du christianisme la religion de l'Empire, le latin en était le véhicule le plus populaire. Il est resté le lien commun de toute la chrétienté et les prières en latin sont les seules qui peuvent être reprises par une foule place Saint-Pierre ou dans la basilique, cela reste un symbole émouvant. Pour autant, le latin est devenu dans l'histoire de l'église la langue des clercs, du clergé, et l'effort de Luther traduisant la Bible dans la langue de son peuple, comme Constantin jadis, pour profiter de l'imprimerie de Gutenberg et populariser les textes fondateurs, révèle bien ce décalage entre le latin et le peuple. Je suis de la dernière génération a avoir étudié le latin (et le grec) et c'était déjà un choix élitiste. Alors, aujourd'hui...
Cordialement,
PB
Rédigé par : Pierre Bayle | 12 août 2007 à 22:14
Merci aussi de ce retour. Et en accord avec ce que vous dites. Né en 1940, je ne pense pas être de la dernière génération des latinistes, mais pas loin.. J'ai même, début des années 70, enseigné quelques temps ce fameux latin à des élèves de 3ème de CEG.
Je vais essayer de garder le contact avec votre blog. J'ai lu aussi vos remarques sur le service civique (que ce valeureux général ne veut pas qualifier de civil, soit). Et suis désolé pour vous qu'il n'y ait pas eu de commentaires, apparemment du moins.
Rédigé par : cl. wagnon | 14 août 2007 à 13:44