Ambiance étonannte à l'université d'été du MEDEF, dont le thème est cette année "jouer le jeu" : pour l'ouverture mercredi, sa présidente Florence Parisot a invité la mondialisation en faisant intervenir à ses côtés un responsable politique africain et un écrivain indien, le tout ponctué par un jingle à la gloire du rugby, coupe du monde oblige...
Il y a longtemps que Florence Parisot a fait oublier le style compassé de l'ex-CNPF, celui d'un Ceyrac ou d'un Seillières. Toute petite, en jeans et polo, elle dégage une présence impressionnante avec ses cheveux roux, son regard clair et perçant, sa décontraction qui n'enlève rien à son autorité. Car de l'autorité, il en faut pour imposer aux dirigeants d'entreprise français la très longue intervention tiers-mondiste de l'ancien président malien Alpha Omar Konaré, président en exercice de la Commission de l'Union africaine (UA), et celle à peine plus nuancée du diplomate-écrivain Shashi Tharoor, ancien secrétaire général adjoint de l'ONU.
Devant le leader syndical CDFT François Chérèque, assis au premier rang, la présidente du MEDEF tient un discours progressiste teinté d'écologie en affirmant que "jouer le jeu c'est ne penser aucune exclusion, c'est d'emblée inclure, c'est jouer le jeu de l'Homme et de la planète". Pour mieux illustrer sa préoccupation, elle a invité le vice-premier ministre des îles Tuvalu "dont l'existence est menacée par la montée des eaux". Ce qui ne l'empêche pas de rappeler ses choix politiques en rappelant à François Chérèque, après avoir souligné que le pésident malien était un ancien syndicaliste, que le fait d'assister aux Universtés du MEDEF est "un bon tremplin : Nicolas Sarkozy est venu plusieurs fois" alors que "Ségolène Royal n'a pas répondu aux invitations"... et d'ajouter aussitôt : "c'était pour rire".
Mais Alpha Komaré, au-delà du "plaisir de se retrouver avec ceux qui font gagner la France et les amis de la France en Afrique", renverse d'emblée la proposition thématique : "jouer le jeu oui, mais à quel jeu joue-ton ? Quelle sont les règles et surtout quelles sont les sanctions si ces règles ne sont pas respectées ?". Le responsable de l'UA rappelle que pour le continent africain, les règles sont faussées depuis toujours : la traite, la colonisation, l'apartheid, voilà les règles du jeu imposées à l'Afrique - "les termes de l'intégration imposées à l'Afrique depuis le 16e siècle ne sont pas équitables", même dans son contact avec le marché qui ne s'est jamais fait "sur un pied d'égalité".
Avec des formules colorées - "nous sommes un continent riche, malheureusement plein de pauvres", Alpha Komaré met en cause les acteurs politiques et économiques ocidentaux : "dans le jeu que vous nous proposez, beaucoup de promesses ont été faites qui n'ont pas été tenues". Qu'il s'agisse de la dette, de la politique d'aide, de l'insuffisante responsabilité mondiale de l'entreprise, l'Afrique ne se voit pas donner les moyens de "s'en sortir". Il insiste sur le fait que la pauvreté de l'Afrique menace l'Occident : "il y a un milliard d'Africains pauvres qui se pressent aux portes de l'Europe ; l'Afrique est moins loin de Gibraltar, 20 km, que le Stade de France ne l'est de de Jouy en Josas" (HEC, où se déroule l'université du MEDEF). Et conclut : "L'Afrique a besoin de justice et de solidarité, pas d'aide ni de charité".
Plus littéraire mais ferme aussi derrière la prudence du diplomate, le discours de Shashi Tharoor rejoint les mêmes conclusions, assorties d'un avertissement à peine voilé. Il rappelle aux entrepreneurs français que sans violence, mais grâce à sa "puissance molle", la conviction plutôt que la force, l'Inde est en train de devenir un géant économique et industriel - il n'a pas besoin de citer Mittal - et qu'il ne faut pas que l'Europe se désintéresse de cette mondialisation dont un des effets est qu'en mettant "le monde à plat", la misère se déplace librement et ignore les frontières.
Une belle introduction, pour trois journées au programme dense et anti-conformiste, puisqu'on y parlera de marché, d'allongement de la durée du travail, de fair-play et de "triche", d'éthique de la violence, d'internet et de démontologie, mais aussi des caricatures de Mahomet, du terrorisme, des questions sur le positionnement de la Chine... Avec le président de la République, en tant qu'habitué, de nombreux ministres mais aussi des politiques y compris de gauche (quelques-uns...), des syndicalistes, des intellectuels, et le tandem inséparable ambassadeur d'Israël-rerésentante de l'Autorité palestinienne. On aimerait que toutes les universités d'été soient aussi riches.