Apparu sur les champs de bataille dès 1942, le char américain M4 Sherman restera surclassé dans ses versions successives par ses adversaires allemands (Panzer 4, 5 et 6) dans la course au calibre et à la précision. Mais le rouleau compresseur allié, jouant de la quantité des chars (comme le T-34 sur le front russe, aux côtés du Sherman lui-même livré à l’armée rouge), et d’une suprématie absolue des soutiens artillerie et bombardement aérien, emportera la décision, heureusement pour les démocraties…
Symbole de ce renversement du rapport de forces, le Sherman va apparaître sous forme de jouet dès avant la fin de la guerre. Dès le débarquement en Normandie en juin 1944, il va prendre possession du paysage de l’imaginaire, s’imposant dans une production de jouets où la production allemande disparaît dès le début de la guerre pour cause de rationnement du métal. Le blindé français, coupable (malgré lui) de réutilisation par l’armée allemande, ne figurera donc plus dans la gamme des jouets, sauf la chenillette Lorraine et quelques autres extrapolations plus ou moins fantaisistes de chars rappelant vaguement les Somua S-35 et Renault R-35.
Le manque de métal ne va pas empêcher l’apparition de jouets de fortune, pour célébrer l’arrivée de la coalition arrivée et la libération de la France. Des jouets de guerre apparaissent, en plâtre ou en terre, réalisés à partir des moules servant aux jouets en alliage d’avant 1939 (chenillettes). Dans le cas du Sherman, certains jouets sont étonnants car fidèles à la silhouette du char américain mais avec les peintures
françaises d’avant guerre, et un équipage portant les casques français d’avant-guerre également. C’est le cas de ce char portant la mention « Jouet France », en plâtre avec des roulettes en bois, portant un étonnant camouflage et un équipage en tenue 1939, un soldat étant debout en capote derrière la tourelle, et qui a dû être produit en série limitée entre 1944 et 1945. Un autre petit char en plâtre, sans roulette, d’origine belge (Ourso), est plus une figurine qu’un jouet, avec deux antennes métalliques plantées dans la masse.
Autre exemple d’une production de guerre, ce char en bois, artisanal, dont le train de roulement est réalisé en bobines de fils, la seule pièce de métal étant une petite tige montée sur ressort à l’intérieur du canon pour lancer grains de riz ou boulettes de papier. La silhouette du Sherman est bien reconnaissable, et le nom « Dolly » peint sur le côté de la caisse vise à renforcer le look américain, mais il s’agit bien d’une production française.
D’autres jouets sont plus exacts dans leur rapport au modèle réel, et la plupart portent sur la peinture américaine vert olive l’étoile blanche de la coalition alliée. Une étoile qu’on retrouvera dans les cinq années suivantes sur les chars jouets allemands de la marque Gama, reproduisant toujours les Panzer 2 et 3 mais avec des tourelles et une décoration s’inspirant des blindés américains.
Avec le retour d’une relative disponibilité du métal pour la fabrication des jouets, vont apparaître des chars Sherman beaucoup plus précis, comme celui-ci à moteur mécanique et trajectoire orientable par levier fixe, ce qui ne constitue pas une véritable télécommande. Le jouet mécanique fait son retour en force dans les années cinquante mais avec une évidente évolution du marché vers des productions d’orientation civile : constructions mécaniques Meccano, voitures, trains, avions, beaucoup moins de « Militaria » qu’avant 1939, la génération des parents ayant traversé la guerre ne souhaitait évidemment pas revivre, par jouets interposés, des souvenirs dramatiques. Raison pour laquelle la génération du « baby boom » (enfants nés entre 1945 et 1950) ne connaîtra pas les petits soldats et leurs accessoires des générations précédentes !
Un prochain billet fera le point de la production des chars des années cinquante et soixante, notamment française (dont Joustra : Jouet de Strasbourg, Jouets Mont Blanc, CHR, etc). C’est à l’issue de cette période que le plastic aura progressivement remplacé le métal et la tôle dans la confections des jouets, pour des raisons autant de coût de fabrication que de sécurité du jouet lui-même. Le jouet en tôle restera encore fortement implanté dans certains pays asiatiques, dont le Japon, qui s’orientera vers des engins à mécanismes électriques de plus en plus sophistiqués, et la Chine, restée fidèle jusqu’à aujourd’hui au jouet mécanique traditionnel : outre les chars, la Chine produit encore des voitures à friction, motos, oiseaux à ressort et autres jouets traditionnels qui font la joie des collectionneurs.
Bon exemple de cette lente évolution, où le Sherman reste une valeur refuge, ce Sherman japonais de marque Taiyo, des années 1960, à moteur à pile, vendu sur Internet comme beaucoup de ces objets désormais introuvables. Un demi-siècle plus tard, le Sherman est encore coté sur le marché de l’imaginaire, malgré toutes les guerres connues depuis et où le char s’est illustré sous des versions et modèles beaucoup plus modernes…
Voir aussi : http://pierrebayle.typepad.com/tin_tank_toys/
bravo pour votre article,je possede un char B1 bis en espece de platre ou resine et roues en bois avec l'etoile US et le meme sherman camouflé mais aux couleurs françaises
Rédigé par : eric | 30 août 2009 à 22:13
Bonsoir ! Je tente de monter une collection... Je dois dire que votre article est une vraie source d'inspiration ! Merci !!
Rédigé par : Pat | 06 décembre 2012 à 22:53