Si la presse et l'opinion européenne professent une préférence générale pour Barak Obama et Hillary Clinton, les Européens estimant pouvoir attendre plus des Démocrates que des Républicains, il est intéressant de faire la démarche inverse et de voir comment l'Europe est très inégalement intégrée dans les préoccupations de ces trois candidats à l'élection présidentielle américaine.
En surfant sans a priori à travers plusieurs moteurs de recherche (pas de pub !), je constate déjà un premier décalage entre les sites et blogs francophones, où cette préférence est nette, et les sites anglophones, où la vision est nettement moins tranchée. J'en ai eu l'idée en lisant la tribune publiée par John McCain le 18 mars, simultanément sur le Financial Times et dans Le Monde, où j'ai trouvé un discours à la tonalité nouvelle, pour une sensibilité européenne, et symétrique des préoccupations récemment exprimées par Bernard Kouchner dans un colloque du Herald Tribune (Magic is over) sur la faillite d'une certaine diplomatie américaine.
La référence à l'Europe est du reste fréquente dans les interventions du candidat républicain, alors que j'ai eu du mal à trouver l'équivalent récent pour ses deux challengers démocrates, sauf des déclarations très critiques d'Obama et de Hillary au sujet d'un grand contrat attribué par l'US Air Force à un consortium américano-européen opposé à Boeing. Les deux candidats démocrates se sont sentis obligés d'aller dans le sens d'une opinion américaine brusquement protectionniste.
Mais commençons par le discours de McCain. Dans sa tribune, il affirme que "Américains et Européens partagent un objectif commun : bâtir une paix durable fondée sur la liberté. Nous devons renforcer notre alliance transatlantique pour en faire le noyau d'un nouveau pacte global - la ligue des démocraties (...) Confiance et respect mutuel doivent être au coeur de ce nouveau pacte".
Ce discours atlantiste passe, et c'est la nouveauté, par l'affirmation qu'il est de l'intérêt des Etats-Unis de voir progresser l'Europe de la défense : "Nous saluons le rôle éminent que joue l'Europe pour faire du monde un endroit plus agréable et plus sûr. Nous attendons avec impatience la réintégration pleine et entière de la France dans l'OTAN. Et nous soutenons les efforts de l'Union européenne en vue de construire une politique européenne de sécurité et de défense efficace. Une Union européenne forte, une OTAN forte et un véritable partenariat stratégique entre elles sont dans notre intérêt".
Ce partenariat va au-delà de la défense puisqu'il l'étend au réchauffement climatique et à la défense des droits de l'Homme. "Nous devons réactiver le partenariat entre les Etats-Unis et l'Europe sur le changement climatique, car c'est un domaine dans lequel beaucoup de nos intérêts communs sont en jeu". Les Etats-Unis adopteront également une approche différente du problèlme irakien, plus proche des préoccupations européennes, et le sénateur républicain annonce qu'il fermera la prison de Guantanamo et sera très strict sur le recours à la torture.
"Aujourd'hui le leadership n'a plus le sens qu'il avait au lendemain de la seconde guerre mondiale, lorsque l'Europe et les autres démocraties se relevaient des dévastations de la guerre et que l'Amérique était la seule superpuissance démocratique. Aujourd'hui s'exprime la puissante voix collective de l'Union européenne, de l'Inde et du Japon, de l'Australie et du Brésil, de la Corée du Sud et de l'Afrique du Sud, de la Turquie et d'Israël, pour ne citer que quelques-unes des principales démocraties (...) Ce sont les démocraties du monde qui constitueront les piliers sur lesquels nous pouvons et devons bâtir une paix durable".
Sur l'Irak comme sur l'Afghanistan, Obama est nettement plus tranchant envers les Européens : "Au sujet de nos alliés au sein de l'Otan, j'ai clairement dit que nous avons besoin d'un plus grand soutien de leur part (...) Nous ne pouvons pas admettre une situation dans laquelle on ferait appel aux Etats-Unis pour faire le sale boulot, ou aux Etats-Unis et à la Grande-Bretagne, et où personne d'autre ne voudrait participer aux combats réels contre les taliban. Je pense qu'il est important pour nous d'en demander plus à nos alliés européens", même si "il est tout aussi important pour nous de leur signaler que nous les écouterons dès lors qu'il s'agira d'actions qu'ils considèrent discutables, au premier rang desquelles l'engagement en Irak."
Il n'empêche. Certains blogs américains, notamment Joe Conason dans "Obama's European problem", sur Salon.com, soulignent cruellement que bien qu'Obama ait beaucoup voyagé, la sous-commission sur l'Europe qu'il présidait au Congrès "a langui sous sa présidence".
Quant à Hillary, elle a dit : "je veux une politique étrangère fondée sur nos valeurs. Je dirai au monde que l'Amérique est de retour, que la diplomatie du cow-boy, c'est terminé". Elle déclaré aussi que "nous devons réétablir nos traditionnelles relations de confiance avec l'Europe. Des divergences sont inévitables, même avec les amis les plus proches, mais nous ne devons jamais oublier que sur la plupart des problèmes globaux nous n'avons pas d'alliés plus sûrs qu'en Europe". Un discours européen un peu flou quand même et certains, comme Eric Grover sur son blog “the Atlanticist”, pensent que les Européens auraient tort de miser sur elle car elle risque de défendre un retour au protectionnisme économique...
Ce blog étant libre et anticonformiste, je ne suis pas en train d'afficher des sympathies républicaines qui pourraient apparaître bien naïves. Au contraire, je dirais que notre intérêt européen pourrait être, peut-être un peu cyniquement, de voir élire un président républicain modéré, ouvert et pro-européen, lui-même équilibré par un Congrès à majorité démocrate...
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