Il faut aller voir "Mongol - l'incroyable destin de Gengis Khan", film germano-kazakh à participation très internationale qui retrace l'ascension de ce jeune guerrier intègre et son accession au pouvoir absolu, pour à la fois comprendre la fantastique dynamique qu'il a insufflée au peuple mongol et dépasser le cliché de l'ogre barbare hérité de nos livres d'histoire.
Grâce au réalisateur russe Serguei Bodrov, on caracole deux heures durant sans reprendre son souffle à travers les paysages grandioses du Kazakhstan et la course-poursuite-incessante et
alternative entre le jeune Temudjin et ses ennemis littéralement héréditaires, partant d'une histoire d'individus pour aboutir à l'éclosion d'un empire. Bodrov n'est pas le premier à traiter le sujet puisqu'il existe au moins deux autres films sur le grand chef mongol, une production anglo-germano-américano yougoslave en 1965 et un docu-fiction anglo-allemand en 2004.
Ce film est aussi un exceptionnel duel entre le Japonais Tadanobu Asano, qui incarne un Gengis Khan hiératique, implacable mais généreux, insensible mais amoureux, et le Chinois Sun Hong-lei, son frère de lait et de sang Jamukha devenu son roué rival et son ennemi juré. Et comme de toutes façons le film est intégralement en mongol, la véracité de leur jeu fait qu'on se trouve projeté dans un moyen-âge asiatique (fin 12e siècle) totalement réel et crédible, avec des scènes étudiées au millimètre et un mouvement qui emporte l'action au galop des petits chevaux mongols.
C'est incontestablement une histoire d'hommes, où la violence ne se fait pas malgré les femmes mais à cause d'une femme - Hélène et la guerre de Troie - et une histoire d'affrontement où le "bon" triomphe parce qu'il est justicier mais magnanime et qu'il se bat non pour lui mais pour son peuple, "pour les Mongols". Temudjin veut mettre fin aux incessantes guerres tribales pour imposer une loi unique à tous le
s Mongols, fondée sur le respect de l'intérêt collectif contre le pillage, sur le respect des femmes et des enfants qu'on ne tue plus, sur le respect du vaincu qu'on n'exécute plus, sur le dépassement des clivages tribaux en intégrant tout le monde dans une même armée.
Cette unification nationale se fait par les armées, et c'est donc logiquement que Temudjin va partir ensuite à la conquête de la Chine et du monde pour devenir le redouté Gengis Khan. Le film ne raconte que ses débuts mais donne les clés des victoires futures. En particulier, Serguei Bodrov montre de façon très claire comment ce combattant solitaire est devenu chef de bande, puis chef de guerre. Comment les Mongols, qui chargeaient d'abord en hurlant avec des piques, désordonnés comme des Indiens peaux-rouge, ont appris à manoeuvrer le terrain avec les archers à pied et les combattants cuirassés à cheval. Le cheval, l'arc, la légèreté et la manoeuvre, ce sont déjà les clefs de la supériorité
des Mongols, bien sûr avec le talent manoeuvrier de ce Napoléon des steppes.
On n'a qu'un souhait en sortant de ce spectacle, c'est qu'on ait droit prochainement à la suite de cet "Eastern", la version globalisée du Western traditionnel. Avec les mêmes acteurs !
Bonjour. Heureux de voir une critique de ce film intéressant qui est passé relativement inaperçu (au Canada en tous cas). D'arriver à faire ressortir la dimension positive d'un personnage aussi controversé que Gengis Khan, c'est un tour de force. Cependant, je crois bon de préciser un ou deux faits sur l'histoire mongole. La principale source historique sur la vie de Temudjin avant qu'il ne devienne Gengis Khan est « L'Histoire secrète des Mongoles », écrite par un lettré mongol du XIIIe siècle. Disons que le film se permet certaines libertés, telle que sa mansuétude envers son frère de sang qui l'a trahi (Jamuhka): « L'Histoire secrète (...) » nous dit qu'il le fit mourir en lui empilant des blocs de pierre sur la poitrine, afin de ne pas faire couler le sang et ainsi permettre à son âme de revenir le hanter... Et les archers à pied, les guerriers primitifs, c'est sans doute dû à des contraintes concrètes: depuis l'antiquité, la tactique militaire des nomades d'Eurasie centrale est basé sur l'archer à cheval. Gengis Khan innova dans sa capacité à organiser et à discipliner un peuple en armes habitué aux guerres tribales. Il ne faudrait pas oublier qu'en Mongolie Gengis Khan est encore et toujours le plus grand héros national; qu'ils embellissent le portrait n'a rien d'étonnant.
Rédigé par : Éric Vincent | 14 janvier 2010 à 05:14