Le "non" au référendum de ratification du Traité de Lisbonne n’est pas un sujet d’inquiétude, ni même un sujet de discussion en Irlande : la question était mal posée, comme partour où la question européenne a été soumise à référendum, le débat était loin du sujet, les Irlandais auront peut-être un nouveau référendum dès l’automne prochain pour dire un "oui" sans passion, sans enthousiasme mais sans aucune réticence.
Quoi qu’on puisse leur faire dire, les Irlandais ne sont pas doctrinaires et ne se sentent pas extérieurs à l’Europe. S’il faut marcher beaucoup à travers Dublin pour trouver un drapeau européen, en-dehors de l’ambassade de France qui affiche fièrement sa présidence de l’Union, l’Europe est ici présente au quotidien, et concrètement beaucoup plus qu’à Londres.
Nous sommes ici en zone euro, et les positions de Jean-Claude Trichet, le président de la Banque centrale européenne (BCE), sont jugées aussi sévèrement par l’Irish Times et l’Irish Independent, que par la presse française. Avec la politique agricole commune (PAC) et les négociations sur l’organisation mondiale du commerce (OMC), l’euro est un des points forts de convergence entre la France et l’Irlande qui devraient être évoqués lors de la prochaine visite du président Sarkozy fin juillet à Dublin.
"Il ne manquerait plus que Sarkozy vienne nous donner des directives et des conseils", s’alarme l’éditorialiste de l’Irish Independent. "Ce qu’il nous faut, c’est que les Irlandais réfléchissent maintenant tout seuls". En fait, la visite du président français devrait au contraire rassurer les Irlandais sur le fait qu’ils font plus que jamais partie de la famille européenne.
Ce dont ils ne doutent pas un instant eux-mêmes. "l’Irlande est l’enfant le mieux réussi de la construction européenne", nous explique un éditorialiste économique de l’Irish Times. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. L’Irlande a bénéficié de la PAC, elle a été membre fondateur de l’euro, elle est devenue un lieu de rencontre privilégié entre investisseurs européens et américains, notamment grâce à sa diaspora américaine. C’est une politique de rupture libérale lancée en 1987 qui a permis ce décollage, avec une fiscalité avantageuse pour attirer les fonds étrangers, engendrant une croissance record qui était encore de 4,8% en 2007, jusqu’au ralentissement enregistré comme partout ailleurs en Europe, et un PNB par habitant supérieur à celui de la France.
Autre bénéfice de l'Europe : après avoir rapatrié nombre de ses immigrés aux Etats-Unis grâce aux investissements des sociétés américaine (l'Irlande comptait 8 millions d'habitants il y a un siècle et demi et n'en compte que 4,3 aujourd'hui, mais avec un flux migratoire qui s'est inversé), ce pays bénéficie à plein de l'effet Schengen en accueillant une main-d'oeuvre des pays de l'Europe de l'Est facilement intégrable, à la différence du Royaume Uni qui compte de fortes communautés asiatiques.
Mieux encore, l'Irlande attire les cerveaux plutôt que la main-d'oeuvre non qualifiée, avec un effort exceptionnel sur la R&D, un accès facuilité aux étudiants, et une priorité donnée aux secteurs de la pharmacie, des services financiers et surtout des nouvelles technologies de la communication : les "grands" de l'informatique (Dell est irlandais) et de l'Internet (dont Google) ont installé ici leur siège européen en attirant des jeunes surqualifiés de toute l'Europe, ceux de la "génération Erasmus".
Alors, comment éviter un nouvel échec au référendum ? Même si le référendum n'est peut-être pas "le meilleur véhicule", comme le répète le député Gay Mitchell, cette procédure est obligatoire du fait de la Constitution irlandaise car elle porte sur un sujet de souveraineté. Alors il faut certainement éviter d'interférer, et laisser les Irlandais faire eux-mêmes la pédagogie nécessaire pour rassurer la population : le référendum européen n'a rien à voir avec une harmonisation fiscale imposée, avec un avortement légalisé, avec le mariage homosexuel, avec un risque imaginaire de voir les jeunes Irlandais enrôlés de force dans une armée européenne, tous ces étonnants clichés qu'on a vus pendant la campagne.
Il n'empêche, le bon élève de la croissance européenne n'entend pas non plus se couper de l'économie américaine : 580 sociétés américaines ont créé quelque 100.000 emplois en Irlande, la flotte de Ryanair (le low-cost qui n'est pas loin de racheter Aer Lingus) vole à 100% Boeing, le choix européen de l'Irlande ne peut être que de consolider sa vocation de carrefour transatlantique.
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