Rien de plus ringard et routinier que de participer à un ravivage de flamme sous l'Arc de Triomphe, un soir à dix-huit heures, au milieu du concert de klaxons des voitures bloquées par ces manifestations patriotiques intempestives, lorsque les drapeaux traversent la chaussée et interrompent la ronde infernale ...
Cela m'arrive quelques fois, par obligation associative, et il y a longtemps que mes premières émotions de ce recueillement patriotique sur la tombe du soldat inconnu se sont érodées, usées par le rituel immuable et répétitif préservé au moindre détail près par le Comité de la flamme. Le dernier poilu français a disparu, les anciens combattants sont toujours plus anciens et je finis par me distraire à relire encore et toujours le chapelet des victoires napoléoniennes sur les voûtes, une véritable carte d'Europe, mais d'une Europe soumise et sans lendemain, disparue à Waterloo.
L'Europe, justement. A cause de la présidence française de l'Union européenne (que les technocrates ont rebaptisée par un sigle barabare, la PFUE), le grand drapeau français qui flotte sous l'Arc de Triomphe a été doublé par un drapeau européen aussi grand, bleu aux étoiles or. Et la cérémonie organisée vendredi à l'occasion de la Journée nationale du réserviste (JNR) avait également été européanisée par l'invitation faite aux attachés militaires européens d'y assister.
Après la sonnerie au drapeau, la Marseillaise, le ravivage, la sonnerie aux morts, la batterie-fanfare de la Garde républicaine a soudain entonné l'hymne à la joie de la 9e symphonie de Beethoven, devenu l'hymne européen. J'ai été surpris, ce n'était pas le cérémonial auquel j'étais habitué. Entendre cet hymne face aux attachés militaires des pays de l'Union, sous le grand drapeau bleu, m'a fait frissonner. Plus qu'un symbole, c'était comme le signal que quelque chose pourrait se passer si les Européens avaient un tout petit peu plus d'ambition.
Cet engouement français pour l'Europe survivra-t-il à la PFUE ? Déjà, il paraît qu'on va éteindre ce fabuleux manteau bleu qui décore la Tour Eiffel et qui coûterait trop cher. Il ne manquerait plus qu'on décroche le grand drapeau européen de l'Arc de Triomphe en janvier, pour le mettre dans la naphtaline pour 27 ans au moins... Il paraît que le Secrétaire d'Etat à la Défense, Jean-Marie Bockel, réfléchit à une symbolique renouvelée pour le 11 novembre. Il faut souhaiter qu'il étende sa réflexion au 8 mai, l'anniversaire de la capitulation allemande en 1945 que seule la France continue à fêter. A quand une fête du 9 mai commune à tous les pays européens, avec défilés et commémorations conjointes non pas du passé, mais de l'avenir commun ?