Pari réussi pour le cinéma israélien, revenir sur les massacres de Chatila en septembre 1982 sans excès de réalisme mais avec une pudeur qui n'enlève rien à l'intensité dramatique de ce qui reste un questionnement sans réponse : comment tant d'horreur a-t-il été possible, alors que les combattants palestiniens avaient été évacués une semaine auparavant sous garantie internationale, laissant avec confiance leurs familles sans arme et sans défense ?
J'avais un peu d'appréhension à aller voir "Valse avec Bachir " et revenir sur une actualité dont j'avais été témoin comme journaliste, obligé de revenir quatre jours de suite sur des ruines à l'odeur de plus en plus insupportable. Moi aussi j'avais eu pendant des mois des cauchemars, évacués par l'oubli, et je redoutais de redécouvrir des souvenirs enfouis. Mais le film d'Ari Folman, en réalité un dessin animé réaliste et graphiquement esthétique, créé par David Polonsky, permet de suivre le "héros" dans son cheminement, un Israélien mobilisé à l'époque qui essaie de retrouver la cause de ses cauchemars et de vérifier auprès de ses anciens camarades de combat son implication dans les opérations de Sabra et Chatila.
Peut-on faire un dessin animé sur un sujet pareil ? Sans risquer de le tourner en dérision ? Au contraire, ces dessins permettent d'entrer dans une atmosphère suggestive où l'on retrouve exactement ce climat de l'époque, fait de rage et de peur. Comme dans beaucoup de films israéliens (dont Beaufort ), malgré et au-delà de leur honnêteté intellectuelle, la vision du Liban est celle d'un décor dont les habitants n'existent pas, ou bien sont des ennemis, ou encore sont des sauvages...
Mais c'est bien la vision d'une guerre aveugle, dont l'ennemi n'est désigné que par le mot "terroriste", où l'on tire sans savoir sur quoi, où les chars écrasent les rangées de voitures garées dans les rues - un souvenir terrifiant en découvrant ces voitures aplaties au petit matin dans le quartier de Hamra. Une guerre "asymétrique", déjà, avec des voitures piégées, des roquettes antichar, un combat de guérilla et d'embuscades.
L'approche de Beyrouth y est bien ce qu'elle fut : un combat sans adversaire, car il n'y avait plus de résistance armée, des combattants israéliens épuisés et hargneux, un dispositif en tenaille autour de Beytouth ouest, de la banlieue sud et des camps palestiniens au milieu. Et puis cette lumière, irréelle, crue et floue à la fois, avec des dizaines de fusées éclairantes descendant lentement dans le ciel de la ville. Une illumination inquiétante, dont on devinait l'utilisation militaire sans en comprendre l'objet, une appréhension sourde qui encore aujourd'hui me rend les feux d'artifice antipathiques.
Seul détail inexact, les miliciens chrétiens moustachus et barbus : à l'image de leur président assassiné Bachir Gemayel, les combattants des Forces libanaises étaient généralement glabres et laissaient les moustaches aux "Muz", comme ils désignaient les musulmans. Ensuite, suggéré plus que montré, se déroule le massacre des civils palestiniens, les familles décimées ou emmenées en camion, avec cette image dont le personnage central dit courageusement, parlant à un psychiatre, qu'elle lui rappelle la photo d'un enfant juif avançant les bras en l'air dans le ghetto de Varsovie. Et des documents filmés, en finale, montrant les rues de Chatila avec des cadavres d'hommes, de femmes, d'enfants et d'animaux recouverts de mouches, sans l'odeur pestilentielle qui resta des semaines dans ce quartier.
D'où me vient quand même ce malaise ? Bien sûr ce n'est pas un document historique mais le témoignage subjectif d'un soldat israélien qui revit la scène à son niveau. Pour résumer, les postes avancés israéliens rendent compte des violences dont ils sont témoins, d'abord sans effet, et au petit matin le général commandant les forces vient lancer un appel aux miliciens libanais pour leur faire cesser les tirs. Les Israéliens, spectateurs passifs, les Libanais, brutes sanguinaires, le cliché est un peu trop fort dans un dispositif parfaitement imbriqué où les miliciens chrétiens repoussaient les Palestiniens dans une nasse, à la sortie de laquelle se tenaient d'autres militaires israéliens. Je revois nettement la file des hommes les mains sur la tête, les deux officiers israéliens assis derrière une table, l'interrogatoire sommaire, les hommes amenés dans des camions garés dans le stade, les yeux bandés, avanrt d'être emmenés quelque part vers le sud. Il faisait déjà jour, on entendait encore au loin un bulldozer, le nettoyage se terminait par cette rafle de tous les Palestiniens en âge de combattre vers un camp secret de la zone frontalière au sud Liban... Le film se termine-t-il trop tôt ?
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