Je suis souvent frappé du discours négatif et culpabilisé des ados d'aujourd'hui - catégorie très vaste puisque beaucoup restent des ados jusqu'à l'entrée dans le monde du travail. Ce discours, qui va jusqu'à l'idée absurde qu'il ne faut pas avoir d'enfants, car le monde que nous leur laisserons sera trop horrible, associe une vision catastrophiste du monde avec un sentiment défaitiste de n'avoir aucune prise sur la réalité.
Traditionnellement, la remise en cause du monde par les jeunes aboutit à une prise de conscience politique qui peut déboucher sur une action, du mode raisonnable et réformiste jusqu'au mode le plus extrémiste, mais une action quand même. De plus en plus, je constate une hyper-activité des jeunes dans le monde virtuel que leur offre Internet, contrastant avec une lourde résignation face à une réalité qui ne leur offre que des moyens d'action limités ou inefficaces, voir l'état des partis politiques en France et ailleurs en Europe.
Certains ont des recours religieux, mais la foi est inégalement partagée, d'autres des recours idéologiques : heureusement, le débat doctrinal qui a déchiré l'Europe pendant près d'un siècle entre communistes et anticommunistes est dépassé, même s'il a laissé des cicatrices profondes et beaucoup de confusion dans les esprits. Toujours est-il que les nouvelles générations ne sont plus coincées comme les précédentes dans ce choix absurde et impossible entre l'anticommunisme et l'antifascisme, qui justifiaient tous les excès.
Pour ma part, j'ai reçu en héritage de ma classe de Philo - dont je n'ai donc pas que de mauvais souvenirs - cette distinction des philosophes grecs entre ce qui dépend de nous (ta eph'emin) et ce qui ne dépend pas de nous (ta ouk eph'emin) et qui échappe donc à notre pouvoir.
La lecture passive de cette distinction, c'est qu'on n'est pas responsable de ce sur quoi on n'a pas prise, et c'est au mimimum une bonne médecine contre la culpabilisation collective absurde qui en paralyse beaucoup. Mais avec le risque d'aboutir à l'indifférence envers le monde qui nous entoure.
La lecture dynamique qu'on peut faire aujourd'hui, c'est que chacun est responsable de ce qui dépend de lui, de ce sur quoi il veut avoir prise, sans limitation déterministe. C'est cette seconde lecture qui fait d'un homme un homme d'action : le périmètre d'efficacité de chacun est déterminé par sa volonté de faire bouger les choses, y compris contre les injustices.
La France a ainsi donné au monde les "French doctors", qui ont fait évoluer les ONG du caritatif classique jusqu'au droit d'ingérence, désormais imposé et reconnu par la communauté internationale. Et rendons pour une fois hommage à Bernard Kouchner pour avoir montré le chemin de ce type de volontarisme individuel qui ne se laisse pas arrêter par les frontières, quelles qu'elles soient.
Ce que je veux dire à tous nos jeunes, c'est que la sphère de ce qui dépend d'eux n'est pas limitée. S'ils ont trop souvent le sentiment justifié que la société ne les attend pas, qu'ils soient au moins convaincus que c'est à eux d'y faire toute leur place, y compris dans l'action politique, et que la résignation passive est la pire des attitudes. Même si certains jours, les informations politiques entendues à la radio vous donnent envie de vous recoucher.
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