Très belle illustration, dans le film d'espionnage de Ridley Scott "Mensonges d'Etat" ("Body of lies", d'après un roman de David Ignatius), de la nouvelle réalité des conflits contemporains, avec un combat globalisé à travers le monde, un ennemi sans visage et insaisissable, et des moyens technologiques toujours plus sophistiqués qui peuvent donner la connaissance mais pas la compréhension.
L'Irak n'est évoqué qu'au départ, et c'est tant mieux. Dans la guerre planétaire contre le terrorisme, l'invasion de l'Irak est une immense aberration, qui aura finalement été aussi cruelle - toute proportion gardée - pour les envahis que pour les envahisseurs, à l'heure des bilans.
Derrière la trame haletante d'un film d'action parfois violent, et derrière la place écrasante de Leonardo DiCaprio, l'agent de la CIA Roger Ferris, et de son traitant à Langley Ed Hoffman, alias Russel Crowe (très bon en responsable CIA cynique et un tantinet désabusé), avec un chef des services jordaniens très convainquant en la personne de Mark Strong (ci-dessous), c'est une description romancée mais sans doute assez réelle du nouveau style de guerre qui se mène à travers les continents.
On retrouve la nébuleuse intégriste, qui réinvente la clandestinité en renonçant au téléphone portable et autres moyens repérables, tout en recourant à la dernière technologie pour frapper partout en même temps (ici Bagdad, Londres et Rotterdam ; ça aurait pu être Bombay). En face, les Américains impétueux et souvent brouillons qui poursuivent la mouche à coups de marteaux désordonnés, avec une débauche de moyens hyper-sophistiqués.
La vedette du film me semble être justement l'imagerie satellitaire qui observe et suit sans relâche l'adversaire, pilotée depuis les PC américains en interaction en temps réel avec les agents sur le terrain. Le "target tracking" est ici restitué avec cet effet toujours surprenant qu'on peut guider les caméras satellitaires au mètre près pour suivre un véhicule et même un homme à pied.
Mais le réalisateur n'est pas dupe de l'hyper-puissance américaine, puisqu'il fait dire à son héros Roger Ferris, en conflit avec sa hiérarchie, que les services américains sont toujours "trop pressés" et ne savent pas attendre, dans le cas précis pour remonter une filière. L'hyper-puissance conduit à l'hyper-action, toujours trop centralisée, et l'analyse devient secondaire avec des décideurs trop loin de la réalité du terrain ("il n'y a rien à aimer au Moyen-Orient", dit froidement Hoffman à Ferris, lequel va rester en Jordanie pour les yeux de la belle Golshiftey Farahani), une faiblesse qui se paie tous les jours, merci à ce film américain de le rappeler sans complaisance.
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