La célébration de l'anti-héros, c'est un exercice méritoire et tellement citoyen que vient de faire le colonel Benoît Royal, officier d'active et chef du service de presse de l'armée de Terre (Sirpa Terre) en publiant un étonnant ouvrage sur "L'éthique du soldat français - La conviction d'humanité".
Cette brève note de lecture n'est pas un clin d'oeil militariste, un coup de pub à un copain, ni un exercice obligé pour la rubrique "défense". Au contraire, c'est un petit coup de projecteur sur un livre qui devrait sortir du cercle des spécialistes pour intéresser tous ceux qui s'interrogent sur l'engagement de la France dans le monde, ses limites et ses ambitions. Et sur l'existence de la guerre, souvent codifée, jamais maîtrisée, avec une réflexion séculaire sur le "jus ad bellum" (le droit à la guerre) et le "jus in bello" (le droit dans la guerre)
Le colonel Royal n'est pas un original. Il se situe dans la lignée de penseurs militaires préoccupés de morale, dont le général Bachelet à qui on doit notamment "Maîtrise de la violence". Des officiers acceptés, et même encouragés par la hiérarchie militaire dont les deux derniers chefs d'état-major de l'armée de Terre, les généraux Bernard Thorette et Bruno Cuche, tous deux très préoccupés de pensée éthique.
Encore un traité de philosophie ? Pas du tout. C'est l'étude clinique de la réalité des champs de bataille contemporains, souvent des conflits atypiques ou asymétriques, avec une violence exarcerbée qui ne respecte pas les populations civiles. Une violence déstablisante, contagieuse, ou plus d'un contingent venu d'un pays supposé démocratique a perdu sa dignité. Les exemples abondent, en Afrique, dans les Balkans ou en Irak, avec toujours la mise en cause de la légitimité des forces et cette prise de conscience du jugement de l'opinion : "la légitimité ne se décrète pas ; elle se construit dans les perceptions et ce ne sont pas les lois de la guere qui modèlent les jugements de l'opinion publique internationale".
C'est l'histoire de ce jeune chef de section qui, encerclant une bande armée rebelle au Tchad, préfère la négociation à l'assaut et, sacrifiant un beau fait d'arme, a le courage de préférer un "fait d'âme", au risque de mécontenter ses propres hommes. Mais la bande rebelle ainsi épargnée va se rallier, consolidant la paix de cette région au nord du Tchad.
Somalie, Côte d'Ivoire, Bosnie, les faits sont là, les témoignages précis. L'originalité du soldat français est de conserver toujours ce comportement éthique, qui le fait reconnaître au milieu des contingents multinationaux, comme à Mogadiscio. Un comportement qu'on retrouve de l'officier jusqu'au simple soldat, grâce à une éducation, à une sensibilisation à la préoccupation éthique.
Exemples a contrario, forcément, car ils abondent. Le comportemebnt des militaires américains à la prison irakienne d'Abou Ghraïb, qui est le fait de combattants absolument "normaux", est la simple conséquence d'une dérive du commandement, d'une "tribalisation" de la troupe. Pour y remédier, il faut que "chaque militaire, quel que soit son grade", puisse acquérir "sa propre autonomie d'appréciation éthique".
Responsabilité spécifique de l'encadrement, comme un prolongement du "rôle social de l'officier", les valeurs sont quelque chose qui fait partie intégrante de la formation et qui sont l'identifiant propre au combattant français : "le soldat français envoyé en opération a été spécifiquement formé et instruit pour agir dans le respect des valeurs défendues par son pays ; porteur de ces valeurs, il tire sa légitimité de la confiance qui lui est accordée".
Col. Benoît Royal, "L'éthique du soldat français", postface du général Bachelet, Ed. Economica, 124 pages.
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