Lorsque les castristes libérèrent Cuba à la fois de la dictature de Batista et de l'emprise culturelle américaine, le "mazout" (Coca + Whisky) fut remplacé par le "Cuba libre" (Coca + rhum). Mais bien vite les Cubains, peuple libre et frondeur quel que soit le régime, rebaptisèrent la boisson "la mentirita", le petit mensonge, pour signifier qu'ils ne pensaient pas vraiment que Cuba fût si libre que ça.
J'aime bien le titre du papier de Mediapart, "50 années gâchés" pour résumer le sentiment de frustration qu'on éprouve devant ce qui reste à la fois comme un immense tabou à gauche (Cubas héros de la lutte anti-impérialiste) et, en réalité, comme l'un des derniers fossiles du comunisme stalinien, avec la Corée du Nord. Même la Chine et le Vietnam, derrière la façade du parti unique, se sont convertis en douce aux joies du capitalisme sauvage et à l'ouverture des frontières pour leurs ressortissants, le critère ultime de la liberté encore nié aux Cubains.
Avec l'Amérique d'Obama, il sera difficile demain aux dirigeants cubains d'invoquer le spectre de l'impérialisme yankee (ou plutôt "yanqui", en Chavez dans le texte) pour justifier indéfiniment le maintien du corset de fer qui enferme la population cubaine. L'embargo économique américain subsiste, il est vrai, mais largement contourné par l'Europe, le Canada et le reste du monde. Quant au soutien de l'économie russe, il a disparu avec l'effondrement de l'URSS et les sourires de Poutine et de son clône ne cachent même pas le réal-cynisme pratiqué par la nouvelle diplomatie russe.
Je voyais récemment un reportage complaisant sur une chaîne française, où une vraie-fausse touriste filmait librement, donc avec le consentement des autorités, et recueillait cette confidence de son guide auquel elle demandait pourquoi la plage de Jibacoa (ou Varadero, je ne sais plus), n'était pas fréquentée par les Cubains : "c'est l'hiver, ils n'aiment pas se baigner", avait-il fait gober à la courageuse journaliste, en omettant de préciser que certains circuits touristiques réservés aux étrangers porteurs de devises étaient interdits à la population locale.
Critiquer Cuba a longtemps été considéré comme une complicité des turpitudes américaines, dans la gauche européenne. Il serait indécent aujourd'hui de continuer à faire semblant. La dictature de Fidel et Raul, devenus deux vieilliards cacochymes, los hermanos Castro se relayant dans un inimitable duo interchangeable du gentil et du méchant, n'est pas ce que l'on peut souhaiter de mieux à nos amis cubains, un peuple de grande culture et de grand esprit.
Et la cerise sur le gâteau au rhum, c'est la Guevarolâtrie qui continue à faire rage dans le monde et dont Cuba tente de tirer bénéfice. Ernesto Che Guevara, après son échec comme ministre de l'industrie cubaine et comme propagateur de la révolution en Afrique, avait quitté l'île plutôt fâché avec son chef pour aller porter la bonne parole insurrectionnelle sur les hauts-plateaux andins, où il avait été accueilli avec indifférence par les indiens locaux.
Qu'il représente une figure romantique est incontestable, et sa mort le rend évidemment romantique. S'il avait gagné, il serait peut-être devenu un vieux dictateur en Bolivie, qui en a connu d'autres. Mais que Cuba en tire une légitimité est un comble, alors que le castrisme a rejeté tous les romantiques, éliminés, suicidés ou en fuite, la liste est longue depuis Abel Santamaria. "Cuba libre", ça c'est un programme révolutionnaire : cinquante ans après, il reste à réaliser complètement !
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