Pensant prolonger l'allocution présidentielle du 31, un grand patron de presse et d'industrie fait ce matin l'apologie du capitalisme familial et réhabilite les valeurs du 19e siècle, dans un édito à la une du grand quotidien du matin qu'il contrôle. Beaucoup d'extraits circulent sur le net et sont largement commentés, mais j'ai voulu citer certains passages particulièrement rafraîchissants.
"(...) Dans beaucoup de domaines, le monde ne va pas bien. La crise financière qui frappe tous les pays est d’une gravité sans précédent. La faillite des plus grandes banques mondiales, due à des crédits mal contrôlés, a provoqué une réduction drastique de l’offre de crédits. Elle supprime beaucoup d’investissements d’avenir pour les entreprises et de nombreux achats pour les particuliers, de voitures, d’appartements et autres produits de consommation. Tout cela entraîne, malheureusement, une réduction d’activité de nombreuses usines et l’aggravation du chômage.
"Par ailleurs, la dispersion des actions de la plupart des sociétés cotées a causé la chute brutale des cours de Bourse, pour des besoins de liquidité, ruinant de nombreux actionnaires, sans lien avec l’activité de ces sociétés. C’est ainsi que les actions de beaucoup d’entreprises n’ont plus rien à voir avec leur valeur réelle, leurs activités n’ayant pas souffert de cette crise. C’est d’ailleurs le moment de racheter des actions nettement sous-cotées.
"Notons aussi que la plupart des entreprises familiales ont peu souffert car le maintien du capital dans les familles est prioritaire. Quant à celles qui ne sont pas cotées, la valeur de leur capital est intacte. À méditer car ce sont les entreprises familiales qui forment le socle du capitalisme le plus stable. Il faut les protéger. N’oublions pas, non plus, que tous les grands groupes ont pour origine l’initiative d’un homme et d’une famille qui les ont développés au cours des générations.
"(...) Quant à la France, elle subit de plein fouet les désordres financiers. Et elle est encore paralysée par les séquelles du socialisme dont elle n’arrive pas à se débarrasser malgré les efforts du président Sarkozy. La moindre réforme, ou tentative de réforme, engendre des désordres créés par ceux qui ne veulent rien changer et qui ne « rêvent » que de crise sociale. La France est aussi plongée dans une situation de déficit budgétaire de plus en plus préoccupante.
"Et, pendant ce temps, la gauche, qui n’a rien compris, continue à s’enfoncer dans son idéologie. Elle poursuit son travail de désinformation, de promesses irréalistes, avec un programme ultra-simpliste qui s’énonce en quelques mots: « Battre la droite et supprimer le capitalisme ». Et après ? Quelle sera la solution miracle qu’elle inventera pour relancer la croissance et réduire le chômage ? Car elle n’a plus rien à proposer. Elle a tout fait et tout raté.
"Depuis 1945, les socialistes ont enserré la France dans un étau d’où aucun gouvernement de droite n’a réussi à la sortir et dont chaque gouvernement de gauche a accentué la pression. Après les 35 heures, vont-ils proposer les 30 heures, la retraite à 50 ans, le smic à 1500 euros ? Cela serait suicidaire! La lutte des classes continue en France. La « lutte salaire profit », la « rigidité de l’emploi », principale cause du chômage, « le patron peut payer », illusion permanente, sont toujours les mots d’ordre des syndicats pour déclencher des grèves sans qu’ils se rendent compte qu’ils agissent ainsi contre les intérêts de ceux qu’ils sont censés défendre.
"En France, on en est toujours au slogan « faire payer les riches » sans penser qu’à force de vouloir « faire payer les riches » , ils s’en vont dépenser ailleurs leurs euros en créant des emplois qui nous manqueront. La France, qui continue à perdre chaque jour ses élites, ses jeunes diplômés, ses cadres efficaces, voilà qui ne contribuera pas au retour de la croissance.
"La France ne travaille pas assez car l’horaire légal est toujours de 35 heures, et notre budget continue à supporter le passage des 39 aux 35 heures. À force de travailler moins, on va finir par ne plus travailler du tout. (...)
"La volonté des syndicats des services publics de s’opposer à toute tentative de réforme ne facilite pas la tâche du gouvernement. Remarquons, à ce propos, que l’absence de réglementation du droit de grève, pourtant prévue par la Constitution, leur laisse la part belle, peu soucieux qu’ils sont d’entraver la liberté de déplacement et la liberté du travail, que la Constitution prévoit. (...)
"En vérité, les règles de l’économie imposent de faibles coûts de production et des investissements dans les nouvelles technologies, sans oublier la motivation de tous les salariés. Cela n’a rien à voir avec une idéologie de droite ou de gauche. On dit que « la droite a de la tête et pas de coeur » et que « la gauche a du coeur et pas de tête » . Eh bien, il faut à la fois « de la tête et du coeur » . C’est justement la politique voulue par le président Sarkozy."
Sans commentaires... J'imagine simplement la tête des chefs d'entreprise de grands groupes cotés en Bourse, si mal assis sur un capital dispersé. Ils apprécieront. J'attends les commentaires du Wall Street Journal et du Financial Times sur cette leçon de capitalisme avancé !
Classique mais étonnant : chacun voit midi à sa porte !
Pour certains, l’échec patent du communisme et de ses avatars est une validation du capitalisme…Cela suppose, entre autres, que l’on considère le capitalisme comme un système. Nombreux sont ceux qui parlent du « système capitaliste » alors que, me semble-t-il, le capitalisme est fondamentalement l’absence de système. Il repose tout simplement sur la motivation individuelle de possession et de puissance, et ne peut être considéré comme système que si sont mises en place des règles qui limitent et dirigent, peu ou prou, les effets de cet individualisme.
On parle aussi du capitalisme à l’œuvre dans la création de richesses. C’est tout aussi simpliste, car, d’une part, les richesses ne sont réellement créées que par le travail – généralement accompli par les « prolétaires », d’autre part les jeux financiers dont on mesure actuellement les abus ne sont générateurs que de transferts et non de créations de richesse. Quant à l’actionnariat, qu’il soit familial ou public, il y a bien longtemps qu’il a perdu de vue les dividendes qui devaient constituer l’essentiel de la rémunération de l’investissement en capital pour lorgner (à très courte vue) sur les plus-values.
Un tel « système » qui n’en est pas un se montre, une fois de plus, capable de détruire plus de richesses qu’il n’en a jamais créé.
En outre, cette diatribe anti-socialiste fait abstraction, une fois de plus, de la dimension sociale et éthique du problème actuel. L’auteur sait-il comment on peut faire vivre dignement une famille, lui offrir une nourriture saine, payer les études des enfants, accéder à la culture… avec 1500 € par mois, alors que l’idée que le SMIC puisse atteindre ce montant lui paraît extravagante ?
Comment peut-il imaginer que les « masses laborieuses » adhèrent à son point de vue lorsque les inégalités s’accroissent d’année en année, tandis que les « grands patrons » défraient la chronique par l’indécence de leur rémunération contrastant avec leur irresponsabilité patente lorsque leur navire coule ? Certes, les exemples que décrivent les médias ne sont pas parfaitement représentatifs, mais ce sont eux qui alimentent l’opinion.
Il n’est pas d’autre moyen de reconstituer une société fonctionnelle que de rétablir la confiance et le respect mutuel… sans quoi on en restera à « la lutte des classes » dont on connaît les résultats !
Bonne Année 2009, malgré tout. Puissent la raison, la modestie, la lucidité l'emporter !
Amicalement
Rédigé par : Michel Dauzat | 02 janvier 2009 à 06:34
Merci Michel. Je suis d'accord sur la perte de repères, mais je reste étonné par l'ignorance - ou la méconnaissance - de ceux qui croient défendre le capitalisme en pronant des valeurs "pré-capitalistes" comme dans le cas de cet édito : car c'est bien le dépassement du capitalisme patrimonial et familial par un système permettant une majeure accumulation de capital à travers le recours aux épargnants sur le marché des valeurs qui a permis la révolution industrielle, mieux que n'importe quel système étatique.
Si l'épargne industrielle a été dévoyée par la spéculation financière (la dictature de l'EBIT), sa logique n'a pas encore de susbstitut. Il faut simplement une régulation du marché par une autorité externe, le plus souvent politique, et ce dosage est trop subtil pour satisfaire les idéologues, qu'ils soient anti-capitalistes ou archéo-capitalistes. Mais comme plus personne n'a lu Marx, Friedmann ni surtout Keynes, le débat est tombé bien bas... Cordialement !
Rédigé par : Pierre Bayle | 02 janvier 2009 à 06:48