Entre deux ou trois heures de file le matin, jusqu’à cinq l’après-midi : il fallait beaucoup de patience pour mériter l’accès, ce weekend, à l’exposition unique de la collection Saint Laurent-Bergé, présentée avant la vente aux enchères historique de cette collection qui mérite tous les qualificatifs.
S’il fallait résumer un sentiment non pas sur la collection, mais sur l’événement que représente cette expo, c’est qu’il s’agissait d’un événement authentiquement populaire, à la mesure de l’hommage populaire que souhaitait rendre Pierre Bergé à son compagnon Yves Saint Laurent et qui justifiait pleinement qu’il “se débarrasse” d’une collection désormais sans objet, puisqu’ils avaient été deux à la constituer et à la faire vivre.
Car à côte de l’entrée réservée aux experts et acheteurs, eux-mêmes nombreux, l’entrée gratuite et surtout la reconstitution des intérieurs décorés et vécus par ces deux hommes était un cadeau à ceux qui n’auront jamais eu la chance d’être invités chez eux, dans une scénographie qui pour une fois n’avait rien à voir avec un musée classique : on pouvait déambuler au milieu des objets disposés comme dans les intérieurs d’où ils venaient, presque les toucher, ressentir quelque chose de l’émotion de ceux qui les avaient rassemblés en plusieurs décennies de recherches.
Jeunes ou vieux, couples de tout âge et de tout type, connaisseurs ou simples curieux, beaucoup d’enfants aussi à en juger par les poucettes garées devant les salles où elles n’avaient pas accès, la foule était une vraie foule, riche de sa variété et de ses contrastes.
Entre ceux qui commentaient en amateurs éclairés, ceux qui commentaient bêtement les prix estimés, évidemment très élevés, et ceux qui n’arrivaient pas à lire les cartels trop petits, la conversation était souvent surréaliste. Beaucoup restaient sans rien dire, médusés par une telle richesse de chefs d’œuvre rassemblée pour un temps trop court sous la coupole magique du Grand Palais, inquiets de ce qu’elle va devenir.
L’utilisation des appareils photo était interdite, mais largement compensée par la profusion d’images sur cette expo disponibles sur Internet (voir notamment le site de Libération, ou encore www.authenticite.fr). Les catalogues allaient du plus simple (20 Euros) au plus complet (200 Euros les cinq volumes, dix kilos en tout) édités par Christie’s, mais la Fondation Saint Laurent-Bergé vendait aussi, pour 70 Euros, un superbe ouvrage montrant tous ces objets dans les vrais palais décorés par les deux hommes, à Paris, Tanger, Marrakech et autres lieux mythiques. Avec un choc au cours de la visite : retrouver la pièce entièrement décorée de 17 miroirs et autant d’objets en fer forgé de Claude Lalanne, exactement comme dans la réalité.
Beaucoup sera dit après la vente elle-même, la dispersion de pièces uniques, notamment les tableaux, leur non rachat par les musées français. C'est un autre débat, celui du marché de l’art et du fait qu’il n’y a pas d’art sans amateurs éclairés pour faire travailler les artistes, depuis la plus haute antiquité. Aujourd’hui l’heure est à la connaissance du public, à la pédagogie, et cette exposition restera un cadeau fait par deux privilégiés à ceux auxquels ils reconnaissent le droit de partager, même fugitivement, leur émotion artistique. Comme un dernier clin d’œil, la visite se termine en passant devant un panneau qui porte la signature d’un autre grand artiste : Saint Laurent .
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