J’en étais tombé amoureux au marché aux puces de Panjiayuan à Pékin, chez le vendeur de statuettes en terre cuite héritées de la Révolution culturelle. Un Mao Dzedong en peignoir de bain rappelant sa “traversée du Yang Tsé”, réalisé à partir d’une photo du dirigeant chinois à peine sorti de sa “longue nage”.
Alors qu’il avait déjà 73 ans, le Grand Timonier avait participé à la nage annuelle de Wuhan sur le Yang Tsé, se joignant à quelque 5.000 nageurs. Des récits hagiographiques prétendent qu’il avait nagé 15 km en 65 minutes “grâce aux courants”, ce qui est une performance plus qu’olympique et pas très crédible.
D’autres témoignages indiquent qu’il s’était contenté de nager quelques brasses dans le grand fleuve, entouré d’une foule de sportifs et de gardes du corps. Mais il voulait donner le signal qu’il était en pleine possession de ses moyens, au moment où il lançait la révolution culturelle. Et l’événement avait donné lieu à une iconographie sulpicienne montrant Mao traversant le plus grand fleuve chinois, à défaut de marcher sur l’eau.
Peu fréquente chez un dirigeant politique – je n’ai jamais vu de statuette de Hitler, Mussolini ou Staline en peignoir de bains, ni même de Fidel Castro, Winston Churchill ou du général De Gaulle – cette posture décontractée est en contradiction avec la nature même du personnage, mais témoigne de la vivacité de l’artisanat chinois même aux heures les plus sombres.
Le visage en porcelaine est fidèle au détail près, avec la verrue sur le menton et le regard énigmatique de Mao, et son geste de triomphe pourrait être celui d’un nageur olympique, voire d’une Laure Manaudou, sortant du grand bassin après le quatre cent mètres dos papillon.
A défaut de m’interroger dans la glace comme semblent le faire beaucoup d’hommes politiques, j’aurai désormais le plaisir de me raser devant le salut figé mais pacifique du Grand Timonier et de réfléchir ainsi quotidiennement, et sans irrévérence, aux aléas de la politique et à la philosophie de ma salle de bains, qui m’est une province et beaucoup davantage. Merci à Bruno de me l’avoir rapporté de Pékin !
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