Belle illustration de la xénophobie populaire, ces “dégorgeoirs de moulin” présentés au remarquable Musée alsacien à Strasbourg, portant des têtes de monstres ou d’êtres effrayants parmi lesquels on reconnaît sans peine le Maure (ou le Turc, ou le Sarrazin), le noir (l’Africain) et… le militaire ! Leur rôle, nous explique le musée, était de faire peur aux esprits malfaisants qui auraient pu arriver jusqu’à la farine et la contaminer.
Techniquement, ces pièces en bois sculpté étaient fixées sur le caisson à farine des anciens moulins. Un étui en tissu amenait la farine dans une caisse en bois, tandis que le son se déversait à l’extérieur par un trou. Par leur bouche grande ouverte, ces personnages vomissaient le son et, surtout, protégeaient la farine des parasites. Traditionnellement, ces têtes pouvaient porter des épis sur la tête (photo à droite)
Car la farine pouvait transmettre une maladie grave due à un champignon, l’ergot du seigle. Celui-ci donnait le “feu de Saint-Antoine”, fièvre provoquant des hallucinations, d’où la nécessité de préserver la farine de toute pollution au moment de la séparation d’avec le son et de son stockage. Le mal c’est dehors, c’est l’extérieur, c’est donc bien l’étranger…
Les couvercles en bois qu’étaient ces dégorgeoirs avaient ainsi une fonction d’épouvantail pour éloigner mauvais esprits et humeurs malignes. Et pour le bon sens populaire, il était logique de faire appel à ce qui était diable (au milieu à droite), démon, infidèle ou sauvage : le Turc ou le Sarrazin (en haut à gauche), reconnaissable à son turban, était l’ennemi traditionnel. Le noir (au milieu à gauche) était l’inconnu, donc effrayant, là on était dans le préjugé de l’ignorance.
Plus prosaïque était la figuration du militaire : les paysans Alsaciens, comme beaucoup d’agriculteurs d’une Europe traversée par les armées au cours des siècles, toutes nations confondues, avaient la plus grande frayeur de ces militaires qui vivaient le plus souvent sur l’habitant, forme polie du pillage qui pouvait être la simple réquisition des récoltes, pour aller jusqu’à la violence destructrice quand la guerre était ouverte.
A gauche, on reconnaît un soldat portant un shako à plumes, tandis qu’à droite, le militaire porte une sorte de bicorne orné d’une cocarde. Dans les deux cas, il est moustachu et patibulaire, perception ordinaire et générique d’une troupe en campagne vue par les civils des régions traversées, et qui ne désigne spécifiquement ni le Français ni l’Allemand…
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