La cathédrale de Strasbourg est magique, rose dans le bleu du ciel alsacien, pointue à une seule flèche, surprenante au détour d’une ruelle du vieux centre encore massé autour d’elle, lumineuse dedans
comme dehors.
Un doigt pointé vers le ciel sur la rive gauche du Rhin, ce repère immanquable a été le lieu de visites à travers les siècles et d’autant de signatures et de témoignages souvent mystérieux.
Les Russes y sont venus nombreux à travers les âges, surtout les militaires, ponctuant leurs visites de dédicaces gravées dans la pierre. Ainsi le comte de Gernicher, “chambellan actuel de sa majesté impériale de toutes les Russies” est-il passé en 1757, juste avant ses compatriotes “Paul de Balck, capitaine dans les troupes de Russie”, et “Zacharie Hitroff, lieutenant au service de Russie, 7 mai 1763”.
Plus discret, sans doute appartenait-il à l’Intelligence Service, W. (William, Walter ?) Herwey mentionne qu’il est passé le 12 octobre 1773. Ces ennemis du peuple (français), portant sans vergogne atteinte au patrimoine architectural en traçant ainsi leurs inscriptions sur les parois de la flèche, à partir de la terrasse qui coiffe la cathédrale, seront écartés par la Révolution… qui n’a pas davantage le souci de protéger les vieilles pierres de la ville.
C’est ainsi que “Louis Gentil, armurier au 5e Régiment d’artillerie à pied au Dépôt à Strasbourg”, vient signer son passage en “l’an 9” de la République, soit en 1801. Strasbourg, dont la population a mis à sac l'Hôtel de Ville le jour où les Parisiens prenaient la Bastille, s'est armée d'une forte Garde nationale et le général Kléber, vainqueur de Valmy, sera le héros alsacien des guerres de la République jusqu'à son assassinat pendant la campagne d'Egypte...
La cathédrale est donc française, pour un bon moment… jusqu’à ce que les Cosaques franchissent à nouveau le Rhin : “Fschélischeff, colonel aux gardes de SMI de toutes les Russies”, apparaît ici en 1808. On peut s’interroger sur la présence d’un officier russe à Strasbourg en 1808, à moins qu’il ne fût au service de Napoléon, ou officier de liaison entre la Russie et la France, provisoirement alliées depuis la paix de Tilsitt ? La cathédrale connaîtra d'autres drapeaux. Allemande en 1870, libérée en 1918, occupée à nouveau en 1940, la cathédrale de Strasbourg sera le symbole de la Libération avec le serment fou du jeune Lelerc à Koufra, dans le désert tchado-libyen: "jurons de ne poser nos armes que lorsque nos couleurs flotteront à nouveau sur la catédrale de Strasbourg !"
Parmi toutes ces inscriptions qui se recouvrent d’époque en époque, et sur lesquelles se penchent régulièrement les plus grands épigraphistes, les militaires en campagne ne sont heureusement pas les seuls à immortaliser leur passage.
D’autres sont plus romantiques : ceux des voyageurs, ou des amoureux… Léon Touffe, resté inconnu faute d’être devenu célèbre comme Stendhal ou Lord Byron, nous signale son passage en 1834, “de Paris allant à Rome”. Son “voyage en Italie” ne nous est en tous cas jamais parvenu.
Déconcertant, pour un ministre de tutelle de la protection des monuments historiques, “Maurice Druon, de l’Académie française, Ministre des affaires culturelles”, s’est fait graver une plaque dans la pierre rose à l’occasion de son passage, le 13 octobre 1973.
Les jeunes sont plus respectueux, ou plus simplement beaucoup plus pressés, et leurs déprédations moins définitives. La taille de la pierre, qui demande du temps et de la main d’œuvre, a cédé la place au tag, au pinceau ou à la bombe à peinture. Trois copines, “Maria D, Victoria, Maria P, 13.12.07” ont suivi “Kevin & Kim, Mai 07”. D’autres noms sont chinois, américains, japonais. Le plus beau message, d’un auteur qui compris le message éternel de la cathédrale, est celui de cet Allemand : “Kristin, ich werde dich für immer lieben, 9.5.2008” – Christine, je t’aimerai pour toujours.
Voici les éléments concernant un des graveurs du mur de la terrasse de la cathédrale de Strasbourg : Zacharie Hitroff.
Aujourd'hui on l'orthographie Zakhar Alexeevitch KHITROVO. Né en 1734 décédé en 1798.
Rédigé par : M.-P. Berthet - Genève (Suisse) | 12 octobre 2011 à 19:44
Merci pour cette précision intéressante, et bravo pour la précision et l'érudition ! Cette terrasse est un endroit d'une très forte densité historique...
Rédigé par : Pierre Bayle | 12 octobre 2011 à 23:21
Bonjour,
Suite à mon dernier message, je vous indique pour l'inscription "FSCHÉLISCHEFF", l'orthographe française de cette famille est TCHELITCHEFF ou TCHELITCHEV, il s'agit de l'ancêtre direct d'un peintre russo-américain Pavel TCHELITCHEFF classé surréaliste.
Meilleures salutations,
M.-P. Berthet
Rédigé par : M.-P. BERTHET - Genève | 15 octobre 2011 à 10:16