Est-ce l’inquiétude sur le nouveau discours officiel américain, qui fixe comme but ultime la disparition des armements nucléaires ? Un débat a commencé à Paris et à Londres, pour l’instant feutré, mais qui surgit à présent sur la scène publique en prenant à témoin l’opinion.
En France, le ministère de la Défense a lancé une campagne de publicité en pleine page des quotidiens, et en image animée sur le site du ministère www.défense.gouv.fr, sur fond des plages du débarquement en Normandie, avec au pied un bandeau portant un sous-marin nucléaire lanceur d’engins accompagné du texte suivant :
“6 juin 1944. Le débarquement de Normandie lance la reconquête de l’Europe occupée. Pour faire triompher la liberté, il faut parfois combattre. Depuis plus de 45 ans, la dissuasion nucléaire permet d’éviter les conflits majeurs. Fondement essentiel de la stratégie de défense nationale, elle est une garantie de sécurité et d’indépendance. Depuis toujours, la Défense est au service de la paix, des valeurs et de la sécurité des Français. Aujourd’hui, plus que jamais, elle s’adapte pour affronter les risques actuels et à venir : aujourd’hui, se défendre c’est d’abord dissuader”.
Au cœur du débat, une double problématique : sur les fins, il s’agit de réaffirmer la légitimité d’un appareil entièrement tourné vers la stricte suffisance et le non-emploi, deux concepts sur lesquels la France a été en avance sur ses alliés ; et sur les moyens, il faut maintenir la crédibilité de la posture de dissuasion en renouvelant l’ensemble des capacités que la France peut mettre en œuvre de façon autonome : moyens satellitaires d’alerte et d’acquisition, missiles stratégiques (M51) et tactiques (ASMP-A), vecteur aérien (le Rafale) et naval (le SNLE –ici à droite- mais aussi le Rafale Marine embarqué). Sur ce débat, le consensus qui a fait l’originalité de la France pendant près d’un demi siècle n’a pas disparu, même s’il n’est plus aussi massif aujourd’hui.
Côté britannique, il y a longtemps que l’on a renoncé à l’ensemble de la chaîne des moyens, notamment pour la réalisation des ogives nucléaires et des lanceurs balistiques, sans parler de la chaîne d’acquisition et de commandement constituée par les réseaux satellitaires. Ce renoncement risque d’aller plus loin, puisque des personnalités du monde de la Défense s’expriment à présent publiquement pour remettre en cause les programmes de modernisation des composantes de la dissuasion.
Dans un document révélé par la presse de Londres, l’ancien secrétaire général de l’OTAN Lord Robertson, l’homme politique et ancien commando de marine Lord Ashdown, et l’ancien chef d’état-major Lord Guthrie affirment qu’il n’est pas nécessaire de financer des programmes aussi lourds que le remplacement des SNLE Vanguard (à gauche, photo Greenpeace)qui sont armés du missile balistique Trident, de même que les sous-marins d’attaque Astute, les frégates Type 45 ou les porte-aéronefs devant embarquer le JSF F-35. Au lieu de dépenser tout le budget Défense dans ces équipements, ces trois personnalités estiment qu’il vaudrait mieux renforcer les personnels et leur équipement, afin de ne pas mettre en danger la vie des soldats en opération extérieure comme aujourd’hui en Afghanistan.
Ce qui a fait réagir un porte-parole du MoD, déclarant que quelles que soient les économies à réaliser par des arbitrages dans les budgets d’équipement, “la dissuasion nucléaire est un investissement qu’en tant que pays nous pouvons et nous devons nous permettre”. Le débat ne fait que commencer, il promet d’être animé…