Edwy Plenel n’est pas habituellement quelqu’un avec qui je suis d’accord. Pourtant je dois reconnaître que sa “Lettre à ces socialistes qui nous désespèrent” contient tout ce que ressentent beaucoup de ceux qui ont du mal à se reconnaître dans une gauche éclatée, éparpillée, impuissante, hors du coup, qui s’acharne à collectionner les défaites avec régularité. Non, sa lettre n’est pas inutile, comme il s’en inquiète, puisque tout reste à faire. Elle est publiée sur le site Mediapart qu’il dirige, et je me contente d’en extraire quelques passages significatifs tout en invitant ceux qui le peuvent à aller lire la version intégrale, ainsi que les commentaires des internautes.
Tout en se justifiant d’être aussi critique, Plenel rappelle que la gauche “reste ma famille, de cœur et d’esprit” et conteste au contraire cette façon qu’ont les socialistes français de s’approprier la gauche “comme si vous étiez définitivement la seule alternance possible à la droite et naturellement les propriétaires de suffrages qui vont avec”. Et pourtant, écrit-il, “le darwinisme vaut aussi en politique : les partis sont mortels”.
Cette nouvelle défaite électorale, aux Européennes du 7 juin, “n’est pas un accident, mais une confirmation : celle de votre incapacité collmctive à vous réinventer un avenir, un projet, une vision (…) Ce n’est pas l’opposition à Sarkozy qui a été sanctionnée, mais votre impuissance à incarner une opposition crédible”.
Quel contraste avec le trio Cohn-Bendit/Joly/Bové ! Ce qui a beaucoup joué pour eux, estime Plenel, c’est “l’absence de toute préoccupation présidentielle, associée à une authentique culture parlementaire européenne, (qui) insufflait une vitalité démocratique, à l’image de la décontraction et de la simplicité du leader de la campagne”.
Car c’est une véritable “gangrène” que le présidentialisme qui “dévitalise la démocratie française” par un “pouvoir exécutif dominateur” et sans contrôle. La gauche a même aggravé cette présidentialisation : “toutes générations confondues, vous êtes ainsi devenus un parti de professionnels, où l’individualisme carriériste l’emporte sur la fraternité militante”. Sans doute, pour éviter le cliché, Plenel évite de parler d’Enarchisation du PS. Il aurait pu…
Autre erreur impardonnable, l’incapacité des socialistes français à penser européen, et symétriquement “l’incapacité des socialistes européens à porter une stratégie, claire et cohérente, de changement”. Et toujours le même diagnostic : comme ses homologues européens, le PS est à ce point crispé sur la conquête du pouvoir qu’il en oublie “les intérêts sociaux qui vous légitiment”, des ouvriers, des employés, salariés, des défavorisés, de tous ceux qui ont fini par déserter les urnes à force de se sentir délaissés.
Le PS a donc fini par s’enfermer sur lui-même, à se couper du “monde du savoir” et du monde extérieur en général : “qu’il s’agisse des institutions, des banlieues, de l’Islam, de la sécurité, des libertés, de l’immigration, des privatisations, de la fiscalité, de l’Union européenne, du Proche-orient, etc, la liste est longue des glissements progressifs par lesquels le socialisme français a perdu en spécificité, en identité et en substance”.
Et quel contraste, cette fois, avec “la longue marche de Barak Obama”, faite “de livres et de discours qui réfléchissent pour agir, qui embrassent large et visent loin”. Plenel ne conclut pas – il n’est pas un homme politique. Il se contente de poser les questions, sans complaisance : “ma sévérité est à la mesure de mon attente”.
Une critique et une sévérité que je partage pleinement, comme je partage l’ensemble de cette longue lettre qui, derrière son ton désespéré, est une lettre d’espoir. Comme je fais miens, du reste, les discours d’Obama au Caire et à Istanbul, qui sont les deux événements majeurs et les plus porteurs d’espoir de ces derniers mois – encore deux occasions ratées par l’Europe !
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