Trois tomes de bandes dessinées, dont le troisième sort le 7 janvier en France, c’est la fabuleuse pierre de Rosette née du tandem formé par un Français passionné par la Chine, l’écrivain P. Ôtié (à droite), et un dessinateur de presse chinois, Li Kunwu (à gauche), le premier amenant le second à redécouvrir son passé en le sortant de l’oubli collectif pour le raconter en images : “Une vie chinoise” est une histoire vraie qui est à la fois celle d’un individu et de tout un pays. (© Photo Alain Dewez - Le Soir de Bruxelles)
Après “Le temps du père” en 2009 et “Le temps du parti” en 2010, que je viens de dévorer d’une traite et dans la continuité, c’est “Le temps de l’argent” qui arrive pour compléter ce récit inclassable, merci à Dargaud-Lombard.
Clé dans la clé de notre compréhension, la remarquable et synthétique préface de Pierre Haski, lui-même un grand spécialiste de la Chine, nous aide à comprendre (ou essayer) ces générations de Chinois nées “avec Mao”, qui ont survécu “sans Mao” et inventent aujourd’hui “l’après-Mao” avec leur propre sensibilité, les pages glorieuses et les pages volontairement oubliées, et cette immense envie de s’enrichir et de progresser qui prime tous les débats idéologiques et fausse nos propres perspectives.
Xiao Li (Petit Li), héros de la BD et vrai nom du dessinateur Li Kunwu, nait en 1955, dans la Chine nouvellement communiste. Il n’aura pas connu “d’avant” et ses parents ont grandi dans la lutte communiste, son père coupant avec sa propre famille. Le dessin n’est pas celui de la BD à laquelle nous sommes habitués, mais un mélange étonnant entre estampes traditionnelles, calligraphie et manga moderne. Pas un hasard si les sites Internet et les blogs parlant de “Une vie chinoise” vont des sites spécialisés sur la Chine jusqu’aux spécialistes des mangas. Un lectorat trans-générationnel, comme le livre est lui-même une aventure trans-générationnelle.
Inutile de raconter le récit, c’est l’histoire de la Chine depuis les années 1950. Grand bond en avant, famine, révolution culturelle, les grandes étapes de la révolution chinoise y sont vues à travers le prisme de la population des provinces et des campagnes. Sans rien cacher des épisodes les plus sombres et les plus violents, mais avec toujours, étonnant ressort, cette foi inébranlable dans le parti “qui ne peut pas se tromper”. Le rôle du père est central dans cette saga, et son propre regard de cadre communiste épuré et condamné à des années de camps de rééducation jusqu’à une très – trop – tardive réhabilitation et qui garde sa foi en le parti.
Quelques clés aussi sont révélatrices d’un tempérament chinois qui survit aux régimes et aux bouleversements politiques : le sens de la famille, la notion d’une histoire qui trouve sa continuité dans l’empilement d’épisodes, contradictoires entre eux mais qui finissent par former un fil conducteur et permettent, sinon de comprendre, du moins de pressentir comment la Chine, grâce au “passeur” entre révolution et réformes que fut Deng Xiaoping, conjugue aujourd’hui le maintien d’un parti communiste autocratique et d’un ultra-capitalisme qui, conjugués, ont fait de la Chine la puissance mondiale qu’elle est aujourd’hui.
Ce qui n’exclut pas que, entre le militantisme courageux de quelques intellectuels isolés et les pulsions libertaires de millions d’internautes plus passionnés de mangas et de rock que d’idéologie, des lames de fond ne se préparent pas sous la surface lisse de la mer de Chine.
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