“L’armée est avec nous” – ce refrain scandé par les jeunes manifestants roumains lors de l’insurrection populaire anti-Ceaucescu en 1989 me trotte dans la tête.
C’est exactement les mêmes images qu’on voit aujourd’hui à Tunis et au Caire, avec des jeunes embrassant et fêtant “leurs” militaires, par opposition à la police du régime, qu’elle soit Securitate en Roumanie, Police et Garde nationale en Tunisie ou “Sécurité centrale” en Egypte.
L’armée est-elle un vecteur de la démocratie ? Pas de conclusion hâtive, trop de coups d’Etat militaires ont porté au pouvoir des régimes devenus autoritaires, en particulier dans les pays arabes.
Moubarak lui-même est ancien chef d’état-major de l’armée de l’air égyptienne, de même que Hafez el-Assad était chef d’état-major de l’armée de l’air syrienne…
Il n’empêche, il est intéressant de constater que l’armée peut, aussi, être le dernier rempart d’une démocratie emportée par la dégénérescence de l’appareil d’Etat, ou le premier maillon du retour à la démocratie.
En Tunisie, c’est incontestablement le chef d’état-major de l’armée de terre, le général Rachid Ammar, qui a contribué à faire tomber le régime de Ben Ali en refusant le 13 janvier de faire tirer ses troupes sur les émeutiers. Le président voudra limoger le général mais finira par céder aux pressions de son propre entourage l’incitant à partir pendant qu’il est encore temps. Le général Ammar, dès le départ du président, donnera un signal fort en prenant d’assaut le palais présidentiel de Carthage où s’était retranchée la garde nationale qui tentait d’organiser la contre-insurrection.
En Egypte, le chef d’état-major égyptien Sami Anan est revenu en catastrophe d’une visite écourtée aux Etats-Unis pour reprendre les choses en mains. Personnage peu connu, parce que resté en-dehors de la politique, le général Anan est l’interlocuteur privilégié des Américains (ici, sur une photo © World News, le général Anan à droite recevant en 2009 l’amiral américain Mike Mullen à gauche lors d’une réunion du CCG à Washington).
Je lis sur beaucoup de blogs que dans le cas de la Tunisie comme dans celui de l’Egypte, le rôle des militaires n’est pas neutre s’il y a derrière eux “la main des Etats-Unis”. Cela rappelle en parfaite symétrie tout ce qu’on a dit à l’époque sur le fait que la chute de Ceaucescu avait été organisée par Gorbatchev et par le KGB. Bien sûr, il ne faut pas être naïf… Mais on ne peut tout expliquer par la théorie du complot, et rejeter une évolution qui s’avère bénéfique pour la restauration de la démocratie. Et à tout prendre, il vaut mieux soutenir l’armée dans un processus de démocratisation qu’offrir sa coopération technique à la police pour lui apprendre à réprimer les émeutiers avec plus de douceur…
En Egypte en particulier, l’armée est proche du peuple à cause ou grâce à la conscription. Dans une société encore très pauvre dans son immense majorité, l’armée est également un tremplin social, outre qu’elle reste le rempart du patriotisme – l’armée égyptienne reste la seule armée arabe à avoir tenu tête à l’armée israélienne.
Trop tôt pour deviner ce qui va se passer. Il est intéressant en revanche de remarquer que dans toutes les analyses politiques sur les régimes en crise, on parle des opposants potentiels ou réels, sur place ou en exil, y compris en sur-dimensionnant le rôle de l’opposition religieuse, mais on oublie d’analyser le facteur militaire. A propos, en Côte d’Ivoire, l’armée n’a peut-être pas dit son dernier mot !
Commentaires