La visite du président chinois Hu Jintao à Washington écrase tous les symboles et marque une nouvelle étape de l’évolution de la Chine, apparemment aussi forte et spectaculaire que l’ouverture lancée par Deng Hsiaoping et concrétisée en janvier 1979 par sa visite à Jimmy Carter à Washington.
“Nous devons construire la confiance pour trente ans” lui a dit d’emblée Barak Obama, et Hu de lui répondre aussitôt, avec une nuance : “nous nous devons le respect mutuel” (portrait à gauche © Hung Liu, Newsweek).
Deux photos illustrent mieux que de longs discours ce nouveau pas en avant, à la une des quotidiens américaines dont le Wall Street Journal : l’une (à droite, © Chine nouvelle) est la rencontre de Hu avec Henri Kissinger, le croisé de la guerre froide, apparemment joviale. L’autre est prise au dîner officiel : on y voit Michelle Obama ayant d’un côté Hu, de l’autre le président de Coca-Cola, symbole nec plus ultra du capitalisme américain – mais il y a déjà plusieurs années que Coca règne en Chine, comme MacDonald et les autres grandes marques américaines…
C’est bien une consécration pour le dirigeant chinois, qui écarte d’un sourire silencieux les critiques de certains élus du Congrès sur les atteintes aux droits de l’homme et se permet de rappeler aux Américain que le Tibet, Hong Kong et Taiwan sont des affaires intérieures chinoises… Tout en concédant qu’il reste “beaucoup à faire en Chine en matière de droits de l’homme - mais en même temps nous pensons que nous devons tenir compte des différentes circonstances nationales en matière de droits de l'homme".
Les critiques au premier degré diront qu’il est venu avec son carnet de chèques, et qu’il a passé pour des milliards de dollars de commandes (dont 200 avions Boeing, apparemment). Mais les Américains n’ont pas été moins généreux puisqu’il repart avec un accord entre General Electric et AVIC, le constructeur aéronautique chinois, pour équiper les futurs avions chinois de l’avionique américaine. Idem pour un accord qui aurait été rejoint pour que la FAA, l’équivalent de la DGAC française, assure la certification du futur moyen-courrier chinois C-919. Une inappréciable garantie américaine au développement industriel de la Chine et à son accès à la technologie de dernière génération.
Encore présenté par certains médias, en retard d’une mode, comme le dragon captant les technologies occidentales par l’espionnage, le colosse chinois est brusquement devenu le partenaire privilégié. On peut faire confiance aux Américains pour ne pas être totalement naïfs sur la défense de leurs brevets et sur la défense de la propriété intellectuelle, sujets sans doute évoqués avec les invités chinois. Mais l’évolution est notable, et peut-être rassurante.
Au fond, l’affrontement sino-américain perceptible encore récemment sur nombre de sujets – de la parité des monnaies entre Yuan et Dollar, à la concurrence en passant par le soutien à la Corée du nord - n’était souhaitable pour personne dans le monde. Le syndrome du “péril jaune” est une vieille lanterne, il est du reste né en France au début du 20e siècle, et continue à se manifester chez certains stratèges américains qui prédisent “The coming war with China”.
Il fallait sans doute un Obama et un Hu Jintao pour faire fondre la barrière de glace et mettre une nouvelle fois fin à ce qui restait de la guerre froide.
Pour comprendre l’état d’esprit des nouveaux Chinois, il faut se précipiter dans les librairies pour acheter le troisième volume de la géniale manga sur “une vie chinoise”, de P. Ôtié et Li Kunwu (Dargaud). Après le temps du père et le temps du parti, voici venu “Le temps de l’argent”, qui se lit aussi facilement que les deux derniers tout en donnant des clefs précieuses pour la compréhension de la Chine actuelle. Avec une façon toute particulière de traiter Tienanmen comme un événement connu, mais accepté et intégré, voire occulté par une majorité de gens qui mettent la stabilité politique et économique au-dessus des droits d’expression politiques, au moins pour l’instant.
Cette troisième tranche de la vie d’un Chinois contemporain de la révolution de 1949 correspond à l’ère Deng, l’ouverture et l’encouragement à l’initiative individuelle et privée. Une ère qui culmine aujourd’hui avec l’offensive de charme de Hu et qu’on ne peut pas réduire à un simple “marxisme Coca-Cola”.
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