Daguet : la mise en place et la montée en puissance
Interview du général Bernard Janvier (1)
Le général Janvier : « On a constitué une force terrestre autour d’un noyau professionnel, mais sans aucun appelé, ce qui était un problème pour la logistique en général et la chaîne santé en particulier. Une force quelque peu sous dimensionnée et sous-équipée, au départ, dans certaines fonctionnalités, face à une menace irakienne réelle, comportant notamment le risque d’emploi de l’arme chimique. Mais un effort sans précédent aboutira à la compléter, en équipements de combat, avec des moyens logistiques et un soutien santé poussés jusqu’en première ligne : rien n’avait été laissé au hasard ; cette préparation sera déterminante pour le succès de la mission ».
A partir de quand avez-vous été engagé dans l’opération Daguet ?
- Dès le début. Lorsque se déclenche l’invasion irakienne du Koweït, je suis chef de la division organisation / logistique à l’état-major des armées (EMA). A partir du moment où il est décidé d’engager une demi-brigade française sur le sol de l’Arabie Saoudite, il me revient d’assumer l’ensemble des responsabilités de mise sur pied, d’organisation, d’acheminement et de soutien de la force projetée. Je participe donc directement à la naissance de Daguet, aux ordres du général Schmitt, le CEMA, et du sous-chef opérations, le général Guignon, lequel va présider à la conception de l’opération. A leurs côtés, je vais m’en imprégner et la vivre intensément. Quant à la planification opérative, sur le théâtre, elle est conduite par le général Roquejeoffre, nommé commandant de la force DAGUET, à partir d’un état-major interarmées issu de celui de la FAR projeté à Riyad.
L’envoi de Daguet sera le premier geste concret de la France ?
- La France apporte un premier concours à la défense des Emirats Arabes Unis et du Qatar notamment face aux menaces aériennes (opérations Busiris et Méteil). La première décision fortement visible est l’envoi du porte-avions Clémenceau, transportant un régiment d’hélicoptères de combat, le 5e RHC. C’était un geste tout à fait pertinent, face à une menace puissante de blindés irakiens qui avaient déjà déferlé sur le Koweït. Donc déployer une force antichars comme un RHC était tout à fait adapté pour les pays du Golfe. D’autant plus que, s’il s’était seulement agi de frapper Bagdad, un porte-avions au large du Liban aurait parfaitement répondu aux besoins (le Foch est alors disponible, gréé avec son groupe aéronaval). Il fallait effectivement montrer notre détermination.
C’est ensuite seulement qu’il est décidé de mettre à terre, en Arabie Saoudite, partie du 5e RHC du colonel Ladevèze, puis la totalité du régiment, et de confier à Roquejeoffre le commandement de l’ensemble des moyens Terre et Air qui vont être déployés sur le théâtre saoudien (directives du 19 septembre). Au départ, il faut le souligner, on définit le volume d’une demi-brigade à 3.500 hommes "et pas un de plus".
Cette restriction dans les effectifs, donc dans l’ organisation des unités, va peser lourdement sur le démarrage de l’opération Daguet ; car on va projeter une force quelque peu sous-équipée, insuffisamment soutenue, dans des conditions physiques, matérielles et techniques très dures pour les hommes déployés dans un environnement difficile. C’est ainsi, par exemple, que le 1er REC partira avec la moitié seulement de son escadron de commandement et de soutien ! Cela ne facilite pas les choses sur le terrain. Tout cela sera corrigé rapidement : de 3.516 en effectifs, fin septembre, la "division" atteint 4.250 fin octobre.
Les armées étaient-elles prêtes pour une telle projection ?
- En réalité, la constitution de cette force se fait sans problèmes pour les unités de combat ou de soutien issues de la FAR ; mais on doit créer de toutes pièces un groupement de soutien logistique (GSL) par agrégat d’unités existantes ou constituées ex nihilo autour des seuls professionnels, puisque la décision est prise par le Président de la République de ne pas impliquer le contingent, sauf dans la Marine, au départ.
Ceci était conforme à la politique française d’opérations extérieures depuis la guerre du Rif – à l’exception des l’Indochine où furent impliqués, initialement et pour quelques mois seulement, des volontaires pour la durée de la guerre. D’ailleurs le code du service national l’interdit, tout en autorisant l’ emploi de volontaires servant dans des situations de crise, comme au Liban (Beyrouth et la FINUL), en Yougoslavie, en Centre Afrique, etc.
La 6e Division légère blindée (6e DLB), sous le commandement du général Mouscardès, constitue alors le cœur de la force de combat projetée ; elle est professionnelle à 83%.
En revanche, les formations consacrées au soutien des matériels ou de l’ homme , les unités de transport ou de circulation, sont pour leur plus grande partie constituées d’appelés ; le non-emploi des appelés, par exemple de médecins aspirants ou de réservistes, pèse lourdement sur la mise sur pied de la chaîne santé. Car nous disposons de structures formées à la projection : antennes chirurgicales ou médicales adaptées aux divisions de la FAR, particulièrement expérimentées et opérationnelles ; mais pour répondre à l’ampleur des besoins, il va falloir piocher dans l’ensemble des personnels professionnels du Service de santé des armées (SSA) pour constituer des unités médicales plus importantes ; la chaîne santé mise sur pied s’avérera remarquable (un spécialiste santé pour 12 combattants), par son esprit d’innovation et par son organisation.
Cette force qu’on met sur pied, il va falloir la projeter ?
- Oui et pour cela trouver des bateaux. Une belle et difficile aventure. En effet, le marché du transport maritime est alors très tendu ; il est fortement sollicité, notamment par les Américains qui ont d’énormes besoins pour la mise en place de leurs forces et par les Britanniques.
On a dû affréter ce qui était disponible (en francisant même un bâtiment russe, le Tchechov), parfois des bateaux n’ayant pas de grandes capacités ou peu adaptés au transport d’un tel volume de passagers pendant plusieurs jours, 6 à 7 jours de Toulon à Yanbu : ainsi le ferry Le Chartres, desservant habituellement la Manche en quelques heures et équipé en conséquence, sans réserves d’eau ni équipement suffisant en sanitaires, est utilisé pour transporter 700 hommes, forcément dans des conditions de confort et d’hygiène précaires ; mais à bord, les impératifs de la préparation opérationnelle passent avant cet inconfort et les équipages civils s’ emploient avec un grand dévouement pour répondre aux attentes.
En décembre est décidée la mise en place du 11e RAMa ; ses matériels sont embarqués sur un dock flottant, le Dock Express. Faute d’anneaux d’attache, on doit souder les 155 TRF1 sur le plancher. Heureusement que cela fut fait car, dans la nuit du 31 décembre, le dock a été pris dans une tempête effroyable en mer de Grèce et a dû s’abriter de la tempête ; une partie du personnel embarque sur un navire affrété par l’UEO, le J.J Sister, modeste ferry trans-Manche, et garde un souvenir douloureux de ce transport !
Le retour vers la France fut tout autre, nous avions le temps et le choix des navires.
La Marine nationale participera aussi à la mise en place avec le TCD La Foudre (ici à gauche), les BDC L’Orage et L’Ouragan (5 voyages).
Au total, l’acheminement de la force, entre septembre 1990 et janvier 1991, nécessitera 10 ferries, 14 rouliers, 10 porte-conteneurs, transportant 9.454 hommes, 76.000 tonnes et 335.000 m3, en 55 voyages.
Il faut désormais compter, dans la guerre, sur un ratio de 3 mètres linéaires et 1/2 conteneur de 20 pieds par homme.
Le recours aux avions B-747 sera épisodique pour répondre aux besoins d’urgence (Air France ne fait appel qu’aux seuls équipages volontaires et les gros porteurs seront indisponibles durant la livraison du beaujolais nouveau de par le monde !)
Mais vous avez été prêts à partir dans les délais ?
- Tout a fait. Le 14 août, l’ambassade de France à Koweït City est occupée par les Irakiens ; au cours d’un conseil de défense restreint, le Président de la République retient le principe d’une présence de forces françaises en Arabie Saoudite (forces terrestres et aériennes, d’ailleurs le ministre de la Défense et le CEMA sont sur place pour les consultations indispensables). Lorsqu’on m’appelle au ministère, le dimanche 15 septembre, pour me demander à quelle date la division peut être prête à partir, je réponds sans hésiter : mardi 17, car je connaissais bien la 6e DLB, au sein de laquelle je venais de servir en tant que général adjoint ; elle est en alerte 72 heures depuis la veille (elle passera rapidement à 12 heures). Mais le ministre revient le lundi et dit : « personne ne part ». Le mardi 17 se passe sans mouvement, la division est prête, comme prévu. Le mercredi, une décision urgente s’impose puisque les bateaux sont bloqués et les unités en attente… Finalement, elle intervient le 18 au soir, permettant les premiers départs dès le 20.
Par un fait du hasard, la logistique va précéder l’échelon de combat : en effet, nous avions prescrit la constitution du GSL au camp de Carpiagne, à partir du lundi 16 matin "au cas où", le personnel, placé en alerte, devant ensuite rejoindre leur garnison respective. Le 19, la préparation est terminée (par exemple le changement des huiles moteurs, les vérifications d’aptitude etc.). Ils partiront directement sur Toulon pour l’Arabie !
Où se fera l’embarquement ?
- Premier à partir de l’échelon de combat, le 2e REI devait embarquer sur le ferry Esterel, qui venant de Bastia devait déposer ses passagers à Marseille. On le déroute sur Toulon et les passagers sont emmenés à destination en autocar. Un certain nombre de membres d’équipage débarquent aussi, car la CGT était hostile à l’intervention de la France. Ils sont remplacés par des marins venus de Marseille, où l’on n’avait pas suivi le mot d’ordre national de grève.
Malgré le problème logistique que cela représente, il alors est décidé de ne pas embarquer un seul litre ou kilo de matériel à Marseille-Fos, pourtant terminal ferroviaire sur l’eau et à proximité du dépôt de munitions de Miramas, mais de réaliser tout l’embarquement à partir de la base navale de Toulon, où nous ne risquions pas de mouvements syndicaux.
Nous y disposions aussi de vastes capacités d’ hébergement et de chargement, sans parler d’une écoute toujours attentive tout autant qu’efficiente ; ce ne fut pas toujours aisé, en effet, les munitions devaient être embarquées sur rade et non à quai, pour préserver la sécurité de la ville ; je tiens à rendre hommage à tous ceux, militaires et civils qui, de jour et de nuit, contribuèrent à la mise en route de nos moyens.
Vous avez eu peur de manifestations ?
- Il y avait des manifestations, écrites, orales ou dans la rue, contre la participation de la France à une intervention militaire. Il y en a eu surtout une qui a, peut-être, pesé dans le débat sur l’envoi ou non d’appelés et de réservistes dans le Golfe. Elle se déroule le 13 août à Toulon, lorsqu’a été décidée la mise en route du Clémenceau vers Djibouti, dans un premier temps. Ce fut une démonstration des mères de marins appelés, avec comme slogan : « n’envoyez pas nos enfants à la boucherie ».
Et comment s’est organisé l’embarquement des forces et des matériels ?
- Nous disposions d’une structure de commandement interarmées de transit qui venait d’être testée avec efficacité, en mesure d’appliquer les directives de l’ EMA, dont elle relevait, et d’organiser les très complexes mouvements pour l’acheminement, l’accueil, l’embarquement des hommes et des matériels. : le système interarmées de transit opérationnel (mais au départ l’armée de l’air s’en est affranchi).
L’Arabie Saoudite avait mis à notre disposition le port de Yanbu, aux vastes capacités sur la Mer rouge, avec à proximité un aérodrome pouvant accueillir les gros porteurs ; nous aurons des plates-formes similaires sur le lieu du déploiement initial de la division (Cité militaire du roi Khaled, KKMC en anglais) et à Riyad.
Même à Rafah, ensuite, dans la zone arrière de la division, l’aéroport local sera en mesure de recevoir les C-160 Transall, à 150 km à peine de l’objectif final d’As-Salman. Par ailleurs, le réseau routier était excellent. De plus, les Saoudiens, à travers un Mémorandum of Understanding (MOU), vont s’engager à fournir un soutien logistique de vie (nourriture, hébergement, plate-forme pour la base d’al-Ahsa) et ce MOU sera pleinement appliqué par les Saoudiens.
Seule anicroche, l’intoxication alimentaire due à un prestataire intégré dans cet accord de soutien et dont les poulets qu’il nous fournissait, souvent sans ailes et sans cuisses, n’étaient pas d’une fraîcheur suffisante. La division fut alors alimentée en rations. Cinq menus seulement au départ, c’est dire la monotonie, mais le commissariat parvint peu à peu à amplifier le choix, dans la diversité et la qualité.
Donc les conditions initiales du déploiement étaient satisfaisantes…
- Non, pas totalement ! nous sommes partis dans des conditions de sous-équipement logistique, par exemple il y avait une tente pour le capitaine et deux tentes pour le fourrier, il fallait se débrouiller pour le reste. La vie va être d’abord très sévère et restera rude malgré les améliorations apportées au fil du temps ; la division est installée dans un désert austère, chaud puis froid ; pas de maisons, pas d’arbres…
On vit avec toujours le même groupe, le même équipage, de jour et de nuit, en quelque sorte coupé du monde (pas d’Internet ou de portable à l’époque !), la poste militaire est une priorité. Mais les soldats de la FAR, expérimentés et éprouvés, ont déjà affronté des situations extrêmes dans leurs campagnes (Tchad, Centre-Afrique, etc.) et l’entraînement opérationnel intensif ne cesse pas (c’est ainsi que les engins blindés purent, pour la première fois, tirer des obus-flèche, à noyau de tungstène et non d’uranium appauvri comme raconté par certains), et il n’y pas de limites pour les champs de tirs !
Sans oublier la menace chimique, avec les alertes incessantes notamment à partir des tirs de missiles irakiens Scud.
Et pourquoi devoir compléter ce dispositif ?
- La force française initialement projetée a été déployée à proximité de Hafar al-Batin, un carrefour stratégique entre deux axes est-ouest, le long de la frontière, et nord-sud, ouvrant la voie de l’Irak vers Riyad. Au moment du déploiement, la défense de l’Arabie saoudite est encore extrêmement vulnérable car, face à la machine de guerre irakienne, forte de 27 divisions dont 6 blindées, il n’y a ici qu’une brigade koweïtie et deux brigades saoudiennes dont une brigade blindée, en plus, heureusement, des forces américaines déployées plus à l’est, autour de Dhahran, surtout aériennes au départ.
Paradoxalement, Saddam Hussein ne met en rien à profit sa supériorité écrasante, et reste sans bouger avec son armada. On a du mal à comprendre ce qui se passe, les généraux irakiens sont comme figés, l’armée irakienne reste l’arme au pied, malgré le vide qui s’ouvre devant elle.
La division française est d’abord déployée au nord-ouest de la Cité militaire du roi Khaled, dans la zone "Arenas" selon son nom de code puis, avec la mise en place d’un corps d’armée égyptien et d’une division syrienne, déployés en première ligne, la force Daguet va être placée en soutien, en retrait, prête à intervenir en manoeuvrant par des réactions offensives, ce sera la zone "Miramar".
C’était de toutes façons la vocation de la 6e DLB, de combattre en manoeuvrant ?
- Oui, la division s’est engagée d’emblée dans un entraînement d’une intensité exceptionnelle et inégalée, combinant des manœuvres interarmes menées en unités constituées, mettant en œuvre des modes d’actions innovants, permettant d’évaluer les réactions aux différentes hypothèses d’une attaque irakienne, par des attaques de flanc.
Y compris dans la 3e dimension ?
- Avec les hélicos de l’ALAT, c’était une chose habituelle pour la FAR qui comportait la 4e Division aéromobile (4e DAM), de même que son entraînement à déployer des PC mobiles constitués sous tente. La FAR avait ainsi participé à l’exercice franco-allemand "Kecker Spatz" - "Moineau hardi" en septembre 1987, une manœuvre de grande ampleur jusqu’au rideau de fer, avec 75.000 hommes dont 20.000 Français.
La vraie nouveauté, là où Daguet va s’entraîner le plus, c’est l’affrontement du risque chimique : cette fois on le prenait vraiment au sérieux. On avait pu voir ce que l’Irak était capable de faire dans sa guerre contre l’Iran.
Mais le dispositif, tout en devenant mobile, restait purement défensif…
- Le tournant stratégique a été la résolution 678 du Conseil de sécurité des nations unies, votée le 29 novembre 1990, qui autorisait le recours à la force pour obliger l’Irak à se retirer du Koweït avant le 15 janvier sous peine d’une intervention militaire de la communauté internationale. Nous avons donc commencé à nous préparer à un affrontement de grande ampleur. Dans mes fonctions de chef Log à l’EMA, j’étais parti voir la force Daguet avec le médecin en chef André Malafosse pour évaluer les problèmes de soutien logistique et de renforcement de la force, fin octobre.
Donc avec un volet santé important ?
- C’était le souci du commandement. Nous avons commencé à planifier puis mettre en place une chaîne de soutien santé sans précédent. Y compris avec la dimension accompagnement psychologique et moyens psychiatriques. J’avais eu l’occasion d’étudier cette dimension lors de ma participation à la FMSB à Beyrouth en 1982, au contact des médecins de l’armée israélienne. Aujourd’hui, le soutien psychologique est devenu le prolongement naturel des opérations extérieures. Les conditions d’emploi exigeaient la mise en place d’une telle aide au commandement et pour la sauvegarde des soldats.
Et le renforcement du dispositif militaire ?
- On était donc passé d’une capacité défensive à une capacité offensive, c’était une décision politique. Concrètement, cela s’est traduit par l’acheminement d’un renfort dit "4.000", un régiment de chars, un régiment d’artillerie, un régiment d’infanterie notamment. Le 31 décembre, partant de Toulon à bord du tout nouveau TCD La Foudre, dont c’était la première sortie opérationnelle, est acheminé un renfort conséquent en hélicoptères (1er RHC). Sont partis également les 43 chars AMX-30 (40 prévus au combat et 3 en maintenance) du 4e Dragons.
Dans le nouveau dispositif, nous avons décidé de "charger" l’avant en plaçant le soutien au plus près du premier échelon ; ainsi, le soutien santé sera-t-il poussé aussi loin que possible vers l’avant, compte tenu du risque évalué d’avoir à mener trois jours de combat de haute intensité avec traitement de blessés par armes chimiques. D’où le déploiement d’un médecin par unité engagée à l’avant, la présence d’un nombre important de VAB sanitaires, de 12 hélicoptères Puma dédiés uniquement aux EVASAN, ainsi que celle d’une antenne chirurgicale avancée à quelques kilomètres à peine du front.
Ce dispositif était intégré dans celui de la coalition ?
- Nous avions prévu la mutualisation des moyens avec nos alliés américains, en particulier pour le recours aux hélicos, l’aide aux évacuations sanitaires, le traitement des blessés et l’utilisation de véhicules de détection chimique Fuchs, et même le recours à la police militaire pour aider à la circulation. Nos porte-chars ont par exemple servi au transport des chars Sheridan de la 82e division aéroportée de Dhahran à Rafah.
Tout le soutien santé était donc centré sur l’avant ?
- Non, nous avions aussi un dispositif arrière d’une ampleur considérable : la Foudre et la Rance à Yanbu avec leurs excellentes capacités hospitalières, les aéroports aménagés pour l’accueil des blessés, le Terminal 3 de l’aéroport de Riyad avec un sous-sol transformé en hôpital, des DC8 adaptés pour transporter des blessés, tout cela sur le théâtre d’opérations. En plus, en France, nous avions prévu large en évacuant les malades des hôpitaux de Toulon Sainte-Anne, Marseille/Lavéran et le Val de Grâce à Paris. Mais tout cela était justifié car nous avions à faire à une menace chimique réelle avec des combats susceptibles d’être de haute intensité.
Et en soutien matériel, armes et munitions, vous aviez aussi prévu large ?
- Oui, d’autant plus que nous devions intégrer l’hypothèque d’une fermeture du canal de Suez par le sabordage d’un navire ou la pose de mines dérivantes… Face à des menaces risquant de paralyser l’acheminement du soutien logistique, nous avions anticipé en créant des dépôts largement dimensionnés sur place, ce qui devait nous permettre de soutenir un combat de haute intensité même avec une rupture des approvisionnements. Quelques chiffres pour illustrer cet effort : on avait mis en place 90.000 obus de 155 mm, 20.000 obus de mortier de 120, 7.400 missiles Hot. Bien sûr, on ne pouvait pas savoir que la guerre serait aussi courte…
Dans les faits, on a finalement tiré un grand nombre de missiles Hot. Du reste, nous avons dû surmonter l’obstacle de la reconstitution, sans délais, de nos stocks en missiles Hot et Milan : l’industrie n’étant pas capable de livrer en quelques semaines, c’est l’armée allemande qui nous a fourni les missiles nécessaires.
Mais nous aurons le même problème pour trouver des bombes d’avions. Car juste après les premières missions aériennes, menées à basse altitude par les Jaguar qui essuieront des tirs intenses, on a décidé d’attaquer en bombardant en altitude, ce seront les Allemands qui nous fourniront les bombes pour compléter les stocks car leurs points d’attache étaient compatibles avec nos avions ; faute de bombes pré positionnées sur place, chaque jour, un DC-8 apportait de France les bombes pour les actions à venir jusqu’à l’arrivée à Yanbu d’un navire.
Dans le soutien de l’homme, l’effort logistique sera aussi très important, dans les adaptations (tenues NBC, gilets pare-éclats) ou le soutien, avec mise en place de centaines de milliers de rations individuelles de combat, sachant qu’une journée de combat représentait 9 .000 rations, 54 tonnes d’eau (6 litres par homme et par jour), de 1.854 tentes F1, 50 tonnes de rechanges, 500 m3 de carburants…
Et vous suiviez tout cela à distance, depuis Paris ?
- Oui mais en temps réel… Dans la nuit du 16 au 17 janvier 1991, avec le déclenchement de l’offensive aérienne, il est décidé d’armer le centre opérationnel des armées (COA, futur COIA qui deviendra à son tour CPCO) 7 jours sur 7, 24 heures sur 24, pour suivre le déroulement des opérations. J’en suis le responsable dès la première nuit, et c’est ainsi que je transmets les ordres d’engagement au général Roquejeoffre sur le théâtre.
J’y serai ainsi le 6 février, lorsque le CEMA m’appelle et me signifie ma désignation par le Président de la République pour assumer la relève du général Mouscardès, rapatrié pour raisons sanitaires. Dès le 8 février, j’étais à Riyad, prêt à prendre le commandement d’une division dont j’étais complètement imprégné, ayant participé à sa montée en puissance.
Mais je veux ici rendre un vibrant hommage au général Mouscardès : l’état de préparation des forces à mon arrivée était impressionnant, c’est lui qui avait mené la division à ce niveau exceptionnel de préparation, qui permettra ensuite son succès, et c’est lui qui a planifié une manœuvre audacieuse.
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