Une foule de voyageurs qui attend patiemment l’arrivée d’un train lent et poussif et qui se bouscule en silence pour monter à bord de wagons aux banquettes en bois inconfortables, pour aller ensuite faire le tour de nulle part, tel est le spectacle qu’on peut découvrir à Saint Valéry sur Somme au départ du CFBS, le chemin de fer de la baie de Somme.
On vient de très loin, et même hors de France, pour retrouver ce plaisir unique d’un train qui marche “à la vapeur vive”, tracté par une vénérable 140 construite par Corpet et Louvet en 1906, totalement restaurée cent ans plus tard, et qui fait vaillamment le tour de l’estuaire de la Somme, vers Noyelle et Le Crotoy au nord en hiver, et au sud jusqu’à Cayeux-Brighton pendant les mois d’été. Le CFBS compte en fait six locomotives à vapeur et plusieurs autorails ou tracteurs diesel, ainsi que vingt-six wagons construits entre 1893 et 1956, des wagons courts à deux essieux jusqu’aux voitures plus longues à bogies.
A 45 km/h maximum, sa vitesse d’origine, la petite locomotive tire ses wagons au bord de l’eau, ce qui laisse tout le temps de voir mouettes et canards sauvages. Les wagons de 1ère, 2e et 3e classe, anciens mais d’époques différentes, roulent la fenêtre ouverte, ce qui n’est pas un inconvénient à cette allure mais permet parfois de respirer la fumée de la locomotive, qui bien entendu est chauffée au charbon.
La locomotive est dans un état impeccable, son embiellage est d’une propreté totale et ses cuivres brillent de tous leurs feux. Elle roule sur une voie à quatre rails, originalité du tronçon entre Saint-Valéry et Noyelles où les rails à écartement métrique du petit chemin de fer de la Somme, comme beaucoup de petites lignes utilitaires, sont encadrées par des rails à l’écartement standard d’1,435 m, celui du réseau ferré national.
Le conducteur-mécano et son chauffeur sont noirs de charbon, comme de coutume, mais leur poste de pilotage est aussi rutilant que le reste. On voit que ce sont des passionnés qui entretiennent ce chemin de fer et que les heures de travail ne comptent pas. A l’arrêt, ils répondent avec modestie et passion aux questions des voyageurs dont beaucoup, à l’évidence, sont des lecteurs de la Vie du rail ou en tous cas des passionnés du train…
A l’arrivée à Saint-Valéry, où le train s’arrête pour débarquer ses voyageurs, la loco est désattelée, s’avance sur une plaque tournante où elle fait un rapide demi-tour, avant de remonter par la voie parallèle jusqu’à l’autre extrémité pour repartir bientôt dans l’autre bientôt sens.
Pas une minute à perdre car on a beau avoir à faire à des promeneurs, l’impatience du voyage est sensible dans cette foule joyeuse qui n’attend même pas que ceux du voyage précédent soient descendus pour prendre d’assaut les wagons et s’installer aux meilleurs places – côté estuaire, évidemment !