Quoi de mieux, par un dimanche pluvieux, que de jouer à un grand jeu de société où, pour une mise réduite, on se paie une belle envie de rêves et de changements ? C’est ce à quoi ont joué entre un million et demi et deux millions d’électeurs se reconnaissant une sensibilité commune autour des valeurs de gauche, pour ce premier tour des primaires destinées à désigner le candidat socialiste aux présidentielles du printemps 2012.
Ni répétition techno, ni parodie de démocratie, la primaire était ce dimanche mieux qu’un banc d’essai. C’était le véritable démarrage de la campagne de gauche pour ces présidentielles avec, comme un espoir bourgeonnant, l’idée que l’alternance n’est plus inaccessible.
J’ai voulu vivre l’expérience chez moi, au ras des pâquerettes, mobilisé comme assesseur pour vivre la vie du plus petit bureau de vote de la commune de Sèvres en bord de Seine où, sur 2.805 inscrits sur les listes électorales, 254 ont fait l’effort de se déplacer pour exprimer leur commune envie de changement, rien de plus, mais rien de moins.
L’envie était-elle réellement commune alors que les partisans des six candidats menaient campagne en concurrence, ces dernières semaines, en ayant oublié la sérénité des premiers débats publics ? Alors que les boîtes à lettres, médias sociaux et téléphones portables étaient “spammés” par les messages appelant à préférer tel candidat à tel autre ?
Je peux en témoigner, la température de cette première journée des primaires était d’une infinie sérénité, pas un mouvement d’humeur, pas un sous-entendu, pas une protestation et, comme pour le confirmer, l’absence de tout bulletin blanc ou nul parmi les suffrages exprimés.
On était, comment dire… en famille, à la fois politique et réellement familiale, avec des familles d’électeurs arrivant ensemble, trois générations cote à cote. Les parents expliquant la procédure aux plus jeunes, les ados expliquant l’informatique aux parents plus âgés… Le fait que les bureaux ne correspondaient pas – forcément, il y en avait moins – et que les listes étaient parfois incomplètes ou inexactes sur le lieu de vote n’a entraîné aucune mauvaise humeur : j’ai vu une famille partir vers un autre bureau de vote, puis revenir car tous ne votaient pas au même endroit, et tous voulaient voter quand même.
Les bureaux étant “armés” par des vieux routiers des élections, les contrôles de régularité étaient même plus intransigeants que pour une élection normale avec des assesseurs de tendances différentes : il fallait rester inattaquables !
Beaucoup votaient pour la première fois, des jeunes notamment, et donnaient un coup de renouveau à ce qui aurait pu sombrer dans la routine. Autre distraction, le paiement d’une contribution d’un Euro, qui a donné lieu aux interprétations diverses : certains alignaient péniblement leurs pièces jaunes pour arriver à l’Euro symbolique, d’autres donnaient un billet ou un chèque. Au total, le total théorique de 254 Euros est devenu, par la générosité d’un certain nombre, 611 Euros, un signe encourageant si la tendance était confirmée ailleurs.
Partie doucement, la journée est passée vite, avec ses permanences, les allées et venues, les rencontres surprises avec des voisins qu’on ne soupçonnait pas sur la même longueur d’onde: “vous, ici, enfin toi, c’est sympa…”. Et de toutes façons, dehors il continuait à pleuvoir.
Curieusement, la politique n’a repointé son nez qu’au moment du dépouillement, avec une très grande curiosité de tous. La section locale étant très partagée, personne ne pouvait prédire le résultat. Le décompte s’est fait vite – beaucoup plus vite que le recomptage fastidieux des émargements et des enveloppes.
Les piles ont commencé à monter à mesure qu’on ouvrait les enveloppes, et on a pu visualiser l’écart en progression. La plus grosse pile pour Hollande, puis Martine, puis Montebourg. Aucun commentaire sur le score de Ségolène, une vielle cicatrice pour tous ceux qui avaient fait la dernière campagne, et une appréciation silencieuse mais admirative du score de Montebourg.
Sans avoir aucune idée des résultats ailleurs, ce petit bureau de banlieue parisienne découvrait à son niveau la nouvelle donne : un trio Hollande, Martine, Montebourg, les autres trop loin derrière. Avant de se retrouver dimanche prochain, chacun aura joué dans sa tête au jeu des alliances stratégiques, avant peut-être de les découvrir dans les déclarations des uns et des autres. Une alliance Martine Montebourg ? Peu vraisemblable. Un nouvel Epinay entre Hollande et Montebourg ? Plus probable, même si le jeune Montebourg ne dispose pas des mêmes troupes que Chevènement avec son Ceres… En sortant du bureau avec ses chiffres, même si modestes vu la taille de l’échantillon, chacun se sentait stimulé par ce démarrage de campagne, pris dans le bain, beaucoup plus qu’en découvrant un peu plus tard politiques et commentateurs sur les plateaux de télévision, ironisant sur ce “4% seulement” de l’électorat qui s’était déplacé. Quelle mauvaise compréhension de ce qui vraiment s’est passé ! Mais c’est vrai, quand il est encore en pleine mer, loin du rivage, le tsunami n’est qu’une onde imperceptible…
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