La circulaire du 31 mai 2011 restreignant les visas de séjour pour les étudiants étrangers diplômés en France au motif qu’ils voleraient des emplois aux Français illustre cruellement ce que la France est en train de devenir : un pays frileux, conjuguant les excès du libéralisme et du malthusianisme et sacrifiant le développement de l’économie à des considérations de politique interne à très courte vue.
Ils sont des centaines d’étudiants étrangers à être diplômés chaque année en France par les meilleures grandes écoles d’ingénieurs (Polytechnique, Mines, Ponts et Chaussées, Sup Aéro, etc.) et écoles de commerce (HEC , ESSEC, etc.).
Ces ingénieurs, en particulier, l’industrie en a besoin pour maintenir et développer sa propre activité industrielle car elle ne les trouve pas en nombre suffisant parmi les étudiants français. Selon les statistiques officielles, il manque chaque année 10.000 ingénieurs sur les 40.000 dont a besoin l’économie française. Ce qui oblige les grands groupes industriels à aller les chercher chez eux en développant des centres de recherches et d’ingénierie et, faute de pouvoir les ramener en France, de développer sur place des activités nouvelles : c’est ce qui se fait déjà au Brésil, en Chine, en Inde, au Mexique, en Malaisie…
Or qui sont ces jeunes qui nous arrivent ? L’élite de l’élite des étudiants. La Chine, pour ne prendre qu’elle, sélectionne chaque année une centaine d’étudiants sur des dizaines de milliers de candidats, pour les envoyer en France – et autant dans les autres pays occidentaux, ce qui représente un fantastique investissement. Bon an, mal an, il en intègre une quinzaine à l’X, le reste réparti dans les autres Grandes Ecoles. Tous arrivent à mener leur scolarité en cumulant les mastères et les stages en entreprise pour compléter leur formation.
Par l’association des anciens de Janson de Sailly (ALJS), le lycée m’a fait parrainer un jeune Chinois à son arrivée en prépa, il y a quatre ans. Il a enchaîné Math-Sup, Math-Spé, a frôlé l’X d’un quart de point, s’est retrouvé aux Ponts où il a fait deux années en suivant un mastère de finances et des stages de langues, ainsi qu’un stage de six mois dans une banque de Hong Kong.
Son choix était de rester en France plutôt que de prolonger son cursus aux Etats-Unis comme le font beaucoup de ses camarades. Un choix culturel, un choix affectif, il s’est senti en phase avec notre pays, un ivestissement précieux pour les liens entre la France et la Chine. Désormais la voie qui s’ouvre à lui est simple : il partira travailler dans une société en Angleterre où il est accueilli à bras ouvert, compte tenu de son potentiel. Comme lui, ils sont des centaines de jeunes diplômés étrangers cette année, des milliers avant que le flux ne tarisse, à voir s’effondrer leurs espoirs en France. Et nos espoirs avec eux, car il faudra encore plus développer nos centres d’ingénierie dans les pays les plus lointains, au détriment finalement de l’emploi en France.
Le sujet est suffisamment grave pour que Le Monde daté du 17 novembre lui consacre son éditorial intitulé “étudiants étrangers : la faute de la France”, et Libération un amusant « Rebonds » de l’universitaire franco-marocain Omar Saghi, intitulé “Guéant et le Polytechnicien marocain”, qui remarque amèrement : « parmi les nouveaux ‘malvenus’ de la figure européenne figure désormais le ‘Polytechnicien marocain’, aux côtés du ‘plombier polonais’… »
Un rejet européen ? Pas si sûr, car l’Allemagne développe une politique ambitieuse et dynamique d’attraction des étudiants étrangers et de rayonnement culturel, avec ses Instituts Goethe où l’enseignement de l’allemand est gratuit, avec son affirmation que la communauté germanophone est la première communauté linguistique en Europe, avec son offensive pour imposer partout l’allemand comme deuxième langue officielle et d’abord dans les instances européennes à Bruxelles. Et le paradoxe est que, précisément, les Grandes Ecoles françaises comme l’ESSEC et HEC ont développé ces dernières années des partenariats internationaux fondés sur l’échange avec des Grandes Ecoles étrangères, supposant bien entendu une réciprocité pour être efficace.
A force de vouloir enfermer la France dans une logique absurde de « la France aux Français », notre pays finira par renoncer à tout rayonnement, à s’étouffer à force d’enfermement. Au secours, qu’on nous rende la France universaliste, la France de l’égalité de tous les hommes, la France des Lumières, et épargnez-nous cette France étriquée, assombrie, ratatinée et verrouillée !
en Angleterre, beaucoup d'etrangers hautement qualifies travaillent, paient des impots eleves, generent des emplois de niveau moins qualifies pour des gens locaux, financent des gens au chomage qui vivent bien grace a une activite complementaire non declaree qui resout la question des petits jobs que personne ne veut faire, leurs enfants tendent a acquerir de meilleures qualifications que leur parents, tout le monde, il est content!
Rédigé par : Jean-Pierre Paats-Williams | 19 novembre 2011 à 12:20
Je pense que la plupart des dirigeants français ont oublié comment se fabrique un peuple ou une civilisation et que les dirigeants allemands savent encore le faire. Ils ont oublié ce savoir-faire en raison de l'histoire désignée comme coloniale. Il est remarquable que le Vietnam s'américanise alors qu'il pouvait reprendre la voie "française". Or les morts causés par les USA sont plus nombreux que ceux causés par l'armée française. Mais en Indochine comme en Algérie a existé un métissage entre les petites gens mais aussi la haute-société qui pouvait évoluer vers une "civilisation" comme en Algérie. Plus aucun politique français ne souhaite recommencer cette expérience.
Rédigé par : Filippi Michel | 19 novembre 2011 à 15:08
@Jean-Pierre: l'ouverture britannique aux étrangers venait essentiellement du fait de l'absence de contrôles d'identité qui pratiquement facilitait la multiplication des sans-papiers faisant tourner une économie parallèle. J'ai cru comprendre que la politique de non-contrôle était en voie d'abandon, donc la situation va évoluer, et pas dans le sens d'un encouragement à l'immigration clandestine. Mais à propos des étudiants diplômés, je parlais en fait de l'immigration légale, autorisée. Cordialement,
PB
Rédigé par : Pierre | 19 novembre 2011 à 15:28
@Michel: oui, mais je crois que c'est encore plus simple. Aux Etats-Unis et en Allemagne, on sait tourner la page. En France, on ressasse l'Histoire avec toujours une envie un peu vaine de venger les défaites, d'où le fait qu'on se traîne des contentieux à travers les générations...
Rédigé par : Pierre | 19 novembre 2011 à 15:30
Peut-être nous comportons nous comme des amoureux déçus, mais surtout je crois que nous n'avons pas de politiques à la hauteur des enjeux actuels de civilisation.
Rédigé par : Filippi Michel | 19 novembre 2011 à 17:12
Je trouve remarquable que l'ambasseur US en Chine soit d'origine chinoise et que l'Etat-Major américain fut composé de Russes ou Polonais pendant la Guerre froide. Ici, en France, qu'avons-nous comme représentations: les gens d'origine arabe sont au mieux des magouilleurs au pire des SDF, ceux d'origine noire font des p'tits boulots ou des "Yabon Banania' même quand ils jouent les inspecteurs, quant aux Pieds-noirs ils jouent un peu tous ces rôles. Quels groupes industriels mettent en avant la diversité d'origine de ses dirigeants? Comment peut-on oublier qu'une grande part de la philosophie française contemporaine vient de gens originaires d'Afrique du nord, que le meilleur de la littérature de langue française est africain au sens large. Mais peut-être que se fait jour ce sentiment de jalousie qui fait envier l'autre qui nous ressemble, pour ces réussites? Je vous prie de m'excuser mais 'tourner la page" me semble trop simple. ;-)
Rédigé par : Filippi Michel | 19 novembre 2011 à 17:30
Peut-être ne savez-vous pas qu'il y a des dirigeants d'entreprise qui sont d'origine arabe ou sud-américaine, ou parfois les deux, mais ils sont si bien intégrés qu'on le voit pas et c'est tant mieux. Le seul qui reste visible et se veut exemplaire de l'intégration est Yazid Sabeg, président d'un groupe industriel de défense. Mais d'accord avec vous qu'il n'y pas encore assez d'exemples de diversité dans notre société. Quant à "tourner la page", entendons-nous, il ne s'agit pas d'oublier mais de surmonter nos défaites ou nos souvenirs douloureux pour mieux construire l'avenir avec nos anciens adversaires. Précisément comme les Américains au Vietnam, votre excellent exemple !
Rédigé par : Pierre | 19 novembre 2011 à 18:27
bel article bien larmoyant pour nous faire avaler de grosses couleuvres. Oui, en effet, il nous manque des ingénieurs, mais nous avons à coté des centaines de milliers de jeunes sans emploi parce que mal formés. Alors le problème majeur est bien de mieux former notre jeunesse avant de se vanter de former l'élite des autres pays. Car au fond, il faut regarder les choses en face, soi le monde est totalement ouvert et alors cette question d'étudiants étrangers n'existe pas, ou il ne l'est pas et alors cette question d'étudiants étrangers doit être regardée "globalement". Et là, je crois que ce n'est pas la France qui se "referme", mais votre cerveau cher monsieur.
Rédigé par : democit | 23 novembre 2011 à 18:37
Pou prouver mon ouverture, cher Monsieur, je vous ouvre mes colonnes malgré votre anonymat... Je regrette seulement que vous ne connaissiez pas davantage le problème des ingénieurs, car si notre belle jeunesse, comme vous dites, se détourne des métiers de l'industrie pour se bousculer dans la finance aux profits plus rapides, ce n'est parce qu'elle mal formée, au contraire, mais parce qu'elle n'est pas motivée à l'effort... D'où l'obligation d'accueillir des talents quand ils se présentent - mais je ne veux pas vous ennuyer avec des considérations trop techniques et en tous cas aucunement larmoyantes !
Rédigé par : Pierre | 23 novembre 2011 à 21:51
@democrit @Pierre Le monde des finances est caractérisé par un temps de transformation de la matière ultra-court, de l'ordre maintenant de la nano-seconde peut-être. Les autres mondes industriels sont caractérisés par des temps de la matière assez long. J'ai pu entendre une idéalisation de ce temps court et un mépris pour ceux pris dans ce temps long. Il semble que l'on retrouve un vieux mépris pour le travail, dans son sens originel, au profit de ce qui ressemble à une activité dégagée des contingences. N'oublions pas que la plupart de nos dirigeants sont des ignorants de l'activité industrielle.
Rédigé par : Filippi Michel | 24 novembre 2011 à 09:26
ravi que nous convergions cher Democrit, et je retire ce que j'ai dit sur l'anonymat. Nous souffrons dans l'industrie de ce complexe de supériorité des financiers avec l'idée absurde, aussi, que l'industrie c'est comme l'agriculture, ça appartient au passé, et qu'il n'y a de futur que dans les services. Certains pays scandinaves et anglo-saxons sont en train d'en payer le prix, avec la disparition de pans entiers de leur industrie...
Rédigé par : Pierre | 24 novembre 2011 à 14:05