La tradition de Noël la plus tenace à Rome est une sorte de concours virtuel entre églises pour dresser la plus belle crèche avec les santons napolitains en bois habillés de costumes en tissu. Une tradition étendue désormais aux crèches en plein air, dont celles fameuses des escaliers de la Trinité des monts et de la piazza Navona. Mais une tradition élargie pour cette raison à des santons en matières résistantes à la pluie avec, en plus, l’hommage de Saint-Louis des Français aux santons de Provence en terre cuite et peinte.
La nativité fait partie du décor naturel des églises romaines, où nombre de tableaux lui sont consacrés, comme cette fresque étonnante de la Trinité des Monts (au-dessus à gauche) et ce Jésus en bois peint et grandeur nature placé entre les “putti” de l’autel de Sainte Agnès en Agone (le nom ancien de la piazza Navona).
Dans certains cas, ce décor donne à la crèche comme une troisième dimension : ainsi la crèche de Saint-Louis des Français s’intègre-t-elle parfaitement dans une double nativité avec la peinture qui la surplombe. Et la crèche de l’église de Sainte Agnès est dominée par un bas-relief rappelant le martyre de la sainte de treize ans qui refusait de se donner au fils du préfet de Rome. D’autres crèches sont de véritables petites villes avec plusieurs niveaux, comme celle présentée (ci-dessous) par la Ville de Rome dans une vitrine à l’entrée de la place du Capitole. Elle est réalisée par l’artisan Alfonso Pepe, qui heureusement pour nous a su s’adapter aux techniques les plus modernes et présente sa production sur un intéressant site Internet.
Mais le plus beau ce sont bien entendu les santons napolitains des 18e et 19e siècle, avec des visages et des mains en bois finement ciselé et peint, et portant des vêtements en tissu aux couleurs codifiées : bleu et rose pour la Vierge, jaune pour Joseph, les bergers, fifres et cornemuseurs habillés de peaux de mouton et les rois mages de tissus richement brodés.
Présents dans certaines églises mais de plus en plus rares, ces santons napolitains n’ont plus rien à voir avec la production aujourd’hui proposée par les artisans sur la place Navona, essentiellement des figurines en terre cuite et peinte. On peut en revanche en voir de très beaux dans les collections privées et dans les vitrines de certains antiquaires de la Via dei Coronari (ci-dessus et trois photos ci-dessous).
Ces santons sont entourés d'accessoires de la vie courante : outils, ustensiles de cuisine, fruits et légumes, charcuterie, plats cuisinés, vaisselle. Accessoires en bois, métal ou mie de pain séchée et peinte, qu'on fabrique encore et qui s'achètent dans les échoppes de Piazza Navona.
Certaines crèches sont notables par l’effort d’architecture, comme le superbe “Presepe Pinelliano” présenté depuis plusieurs années déjà à mi-hauteur des escaliers de la Trinité des monts. Les façades couleur rose et ocre et les toits en tuiles s’intègrent parfaitement aux façades qui surplombent les escaliers et semblent les prolonger dans le passé. Ici l’intérêt n’est pas dans l’expression des visages, comme pour les santons napolitains. Elle est dans l’attitude du corps de ces figurines en terre cuite émaillée : femmes accoudées au balcon, hommes qui s’interpellent, prêtre qui lit son bréviaire dans la rue. C’est toute la société romaine du 19e siècle qu’on y retrouve, gens de ferme et gens de cour, paysans et notables, artisans de tous les métiers… Le paradoxe est que Bartolomeo Pinelli (1781-1835), inspirateur de ce style de crèche, n’est pas précisément une figure sulpicienne : s’il a commencé sa carrière par des figurines de piété, ce sculpteur et graveur a terminé excommunié pour son manque de respect envers la critique religieuse, ce qu’on ne pardonnait pas dans la Rome d’avant 1961 ! Mais il a laissé une œuvre abondante de peintures et surtout de gravures décrivant minutieusement la vie des gens à Rome et dans le Latium du 19e siècle.
Il faut enfin rendre hommage aux crèches qui mettent en scène le monument ou le quartier où elles sont exposées. C’est le cas pour la très jolie crèche de Santa Maria in Trastevere (ci-dessous à gauche) et de celle exposée à l’entrée de l’église de Saint Eustache près de piazza Navona : non seulement l’église est représentée, mais également le clocher caractéristique, dans le fond, de l’église de Saint Yves (Sant’Ivo), ainsi que toutes les boutiques de la place : une façon d’intégrer la crèche un peu plus dans la vie du quartier.
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