Avec un incroyable synchronisme, la Maison Blanche a pu ouvrir une cellule de crise sur la Corée du nord au moment où on apprenait la mort de son dictateur, deuxième de la dynastie Kim, et quelques heures à peine après le retrait des derniers militaires américains d’Irak : fin d’un théâtre, ouverture d’un nouveau.
Sans tarder, les commentateurs ont mis en regard les 4.474 soldats américains tués entre le 20 mars 2003 et le 18 décembre 2011, et la ou les centaines de milliers de morts irakiens – de 116.000 à plusieurs centaines de milliers selon les sources, en ajoutant aux victimes des combats et des bombardements les morts indirectes induites par la guerre et ses blocus : typhoïde, choléra, mortalité infantile. Ainsi, bien entendu, que les morts par attentats qui n’ont jamais cessé.
La constatation que l’addition a été beaucoup plus lourde côté irakien devrait au contraire être rapportée au nombre total des victimes du fait de la dictature de Saddam Hussein et de son cortège de guerres. Ainsi la guerre Irak-Iran, déclenchée le 22 septembre 1980 par Saddam Hussein contre l’Iran de Khomeiny aurait-elle fait, mais aucun total n’est vérifié, jusqu’à 500.000 morts irakiens entre 1980 et le 20 août 1988.
Une guerre sale, avec déplacements de population et recours massif aux armes chimiques ; des armes également utilisées contre les populations civiles du Kurdistan irakien, comme à Halabja en mars 1988. Le dirigeant Baasiste n’avait du reste pas attendu l’offensive contre l’Iran khomeyniste pour s’en prendre également à la population chiite irakienne, durement réprimée autour des lieux saints chiites de Nadjaf et Karbala, mais partout ailleurs aussi.
Revenu à la case départ en août 1988, sans aucun gain territorial sur l’Iran malgré les sacrifices imposés à sa population et à son armée, Saddam Hussein n’avait pas attendu longtemps avant de se lancer dans une nouvelle conquête meurtrière, l’invasion du Koweït en août 1990, que la population irakienne allait à nouveau payer le prix fort.
C’est ainsi, alors que la coalition formée autour des Américains ne comptera que 280 morts à l’issue des opérations en mars 1991, dont 92 militaires sénégalais victimes du crash d’un avion C-130 Hercules des forces saoudiennes, que les victimes irakiennes sont évaluées à encore une centaine de milliers de personnes, civils et militaires, même si l’Irak n’en a alors reconnu officiellement que 20.000 pour des raisons de propagande.
A l’époque, le président Bush père avait scrupuleusement respecté le mandat de l’ONU, arrêtant les opérations à la minute même où le territoire de l’émirat du Koweït était totalement libéré. Mais il n’avait pas démantelé la machine de guerre irakienne et avait ainsi permis à Saddam Hussein de replier sa Garde républicaine pour la lâcher ensuite sur la population chiite insurgée, laissant un cruel sentiment d’inachevé à une coalition laissée l’arme au pied par le cessez-le-feu et devenue impuissante face aux nouveaux massacres.
Il a fallu la décision de George Bush fils, s’affranchissant de tout mandat ONU, pour lancer une opération d’éradication définitive de la dictature irakienne et du facteur d’instabilité qu’elle représentait pour toute la région.
La polémique n’est pas éteinte sur les prétextes de cette intervention, les fameuses armes de destruction massive (MAD) invoquées par les Américains et leurs alliés britanniques mais dont la réalité sera mise en cause par leurs alliés français et allemands qui refuseront de se joindre à une opération lancée pour ce mauvais motif, avec peut-être un reste d’indulgence coupable pour ce bon client qu’avait été l’Irak de Saddam Hussein. A l'époque, il faut quand même le rappeler, nombre de personnalités politiques américaines s'étaient également opposées à cette expédition, dont Barak Obama, élu sur une promesse de retrait et qui vient de la mener à bien.
Des vrais motifs d'intervention, il n’en manquait pourtant pas et, paradoxalement, Saddam Hussein avait tout fait de son côté pour laisser croire qu’il disposait de tels armements, tombant à pieds joints dans le piège que lui tendait la propagande américaine ou se croyant invulnérable, aveuglé par un entourage terrifié qui ne lui racontait que ce qu’il voulait bien entendre. Curieusement, l’Histoire balbutie quand on entend le président iranien Ahmadinejad se vanter de capacités nucléaires qu’il est très loin d’avoir, selon l’avis des spécialistes, mais arrivant à attiser la colère de tous ceux qui cherchent un prétexte pour intervenir en Iran.
La morale et la politique pourront argumenter encore longtemps sur la légitimité de la guerre de 2003, et sur l’état dans lequel les Etats-Unis et leurs alliés auront laissé un Irak non pacifié en se retirant. Mais dans une perspective historique, cette guerre n’est que la troisième d’une série de guerres du Golfe ouverte en 1980 et qui aura sans doute fait un million et plus de morts irakiens.
Saddam n’est plus, son régime a disparu ; l’élimination du régime baasiste et de son cortège d’horreurs est un bon avertissement, toujours dans une perspective historique et non pas politique, pour l’autre régime baasiste, celui des cousins syriens personnifiés par la dynastie Assad, finalement aussi sanguinaire que le baasisme irakien. L’Irak mettra du temps à cicatriser ses plaies, mais il ne reviendra jamais en arrière, et la communauté internationale aura au moins rempli son devoir d’ingérence.
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