Visiter la maison d’Ernest Hemingway à Cuba, à San Francisco de Paula près de La Havane, c’est faire un grand bond en arrière, loin dans le temps et dans l’espace, retrouver les effluves des débuts romantiques de la révolution, et se retrouver finalement dans la maison de la Belle au bois dormant au milieu d’un pays endormi.
Hemingway est mort en 1961 aux Etats-Unis, où il se serait suicidé pour éviter de laisser la paralysie le saisir et la cécité le ronger, l’empêchant à jamais d’écrire, sa raison de vivre.
Héros de la littérature engagée, de la guerre d’Espagne, de l’antifascisme, cet écrivain de combat qui avait adopté l’île de Cuba dès 1932, et s’était installé dans cette grande maison blanche de la Finca Vigia en 1939, n’aura connu que brièvement la révolution de 1959, même s’il a finalement rencontré Fidel Castro, alors jeune chef de la jeune révolution, en mai 1960.
Mais l’écrivain américain, qui avait dédié au peuple cubain le prix Nobel de littérature reçu en 1954 pour “Le vieil homme et la mer”, avait aussi légué sa maison au gouvernement révolutionnaire. Celui-ci l’a donc placé, après sa mort, dans le panthéon cubain aux côtés de José Marti, Antonio Maceo et Maximo Gomez, les héros de l’indépendance, et de Camilo Cienfuegos et Che Guevara, les héros de la révolution, car il fallait ajouter des saints authentiquement locaux (le Che argentin est cubain d’adoption) aux idoles classiques que sont Karl Marx, Friedrich Engels et Lénine.
Un culte discret, il faut le reconnaître, même si l’on emmène les enfants des écoles visiter la maison intacte de l’écrivain, laissée exactement dans l’état où il l’avait quittée lors de son dernier séjour. C’était sa deuxième maison, adoptée comme refuge dès les années trente, et Hemingway jouissait de ce paysage sauvage et reposant, à 25 km de La Havane, pour s’isoler, lire et écrire tout en allant voir les paysans et les pêcheurs de Cojimar, dont il a tiré « Le vieil homme et la mer ».
Quand je l’ai visitée, il y avait encore un gardien qui se présentait comme son fils adoptif et faisait parcourir la maison en retenant ses larmes. La visite est effectivement touchante, car rien n’a été modifié, comme s’il devait revenir chez lui à l’improviste.
On y retrouve d’abord l’écrivain, avec sa grosse machine à écrire Underwood sur laquelle il tapait debout, des magazines et journaux étalés sur le lit, des rayonnages de livres partout et jusque dans les toilettes. Des romans, de la littérature, pas ou peu d’ouvrages politiques, Hemingway était engagé à titre d’individu luttant contre l’injustice mais ne se reconnaissait aucune idéologie particulière, surtout après les guerres qu’il avait traversées.
On redécouvre ensuite l’homme d’action, chasseur et pêcheur : c’est ici qu’il avait placé ses trophées de chasse, cornes de gazelle et têtes d’impalas, d’antilopes et de buffle, ainsi que ses armes, des sagaies, des carabines, des machettes et des sabres. Des cannes à pêche aussi, cannes épaisses à moulinet pour la pêche au gros, celle qu’il décrit si bien dans « Le vieil homme ».
Quelques souvenirs plus personnels, ceux du film tiré de son roman « Pour qui sonne le glas », toute une galerie de photos encadrées de la belle Ingrid Bergman, avec aussi des affiches de tauromachie espagnoles.
Bottes de chasse, chaussures de marche, bottines et souliers de tout type, c’est toute une garde-robe qui s’aligne sur une étagère, chaussures de cuir encore brillantes qu’il cirait sans doute lui-même. Le gardien nous montrait une immense pantoufle, comme pour rappeler qu’Hemingway était grand et qu’il aimait surtout retrouver son confort, entre les guerres et les parties de chasse qui jalonnaient sa vie aventureuse.
Un confort révélé par sa collection de bouteilles de rhum et de whisky, elle aussi intacte et surprenante. Il a visiblement quitté la maison pour y revenir, et sa présence n’en est que plus sensible. Patrimoine national mais aussi international, la maison de San Francisco de Paula a fait l’objet de nombreux travaux de restauration, y compris avec l’aide de spécialistes américains et malgré l’embargo américain. On peut se demander ce que ressentent les jeunes qui la visitent aujourd’hui, et non pas les touristes qui télescopent romantisme et révolution : plus que tout, certainement, ces jeunes doivent éprouver l’envie de voyager et la soif de grands espaces, et sentir le souffle d’un homme qui n’a jamais accepté de se laisser enfermé nulle part et symbolisait plus que quiconque la liberté de l’individu.
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