Le 19 mars est le 50e anniversaire de la fin de la guerre d’Algérie. Un communiqué laconique du ministère français de la défense explique pourquoi « L'État ne commémorera pas la date anniversaire du cessez-le-feu de la guerre d'Algérie. » Je le cite avant de le commenter.
« A l'occasion du 50e anniversaire du Cessez-le-feu de la guerre d'Algérie, qui aura lieu le lundi 19 mars, Marc Laffineur, secrétaire d'État auprès du ministre de la Défense et des Anciens combattants, précise que l'État n'organisera aucune commémoration nationale.
“Si le 19 mars évoque la joie du retour des militaires français dans leurs familles, il marque également l'amorce d'un drame pour les rapatriés, contraints au déracinement, et le début d'une tragédie pour les Harkis, massacrés dans les semaines qui suivirent, au mépris des accords d'Evian.
“Loin de réconcilier les mémoires, le 19 mars est une date qui les divise et ravive les plaies profondes d'une page douloureuse de l'histoire récente de la France. Par respect pour ces victimes et leurs familles encore en vie aujourd'hui, la Nation ne peut et ne doit se rassembler en ce jour anniversaire.
“La date officielle de l'Hommage aux morts pour la France durant la guerre d'Algérie et les combats du Maroc et de Tunisie reste fixée au 5 décembre. Cette date résulte d'un large consensus obtenu en 2003 par la commission Favier, réunissant l'historien Jean Favier et les principales associations d'anciens combattants ».
Le 19 mars est certes un anniversaire douloureux, car tous les morts sont encore présents dans la mémoire de leurs proches, un demi-siècle après : les militaires français morts au combat ou dans des accidents, les pieds-noirs tués par des attentats, les harkis massacrés après le cessez-le-feu et surtout, bien sûr, le demi-million de morts algériens, selon le décompte (certains parlent de 400.000) qui n’est pas le chiffre officiel en Algérie mais commence à être admis par les Historiens sur les deux rives de la Méditerranée. (au-dessus, photo Marc Riboud, Magnum)
La difficulté de ce simple décompte des morts par catégories séparées illustre bien la douleur de la cicatrice qui sépare encore Français et Algériens. Au lieu d’additionner tous ces morts, on continue à les opposer comme si certaines morts étaient plus légitimes ou que d’autres pesaient moins. Absurde et choquant, il n’y a pas de morts justes ou injustes, il n’y a que des morts injustifiables comme dans toutes les guerres.
La difficulté des autorités algériennes à reconnaître ces morts d’après les combats prouve aussi que le régime actuel continue d’écrire une histoire univoque, et qu’il faudra sans doute l’effacement du FLN à l’occasion d’une relève naturelle de génération pour voir apparaître une conception différente et apaisée de ce conflit qui a opposé deux pays, deux communautés.
De façon symétrique, la difficulté des autorités françaises à commémorer tous les morts en Algérie, préférant commémorer “tous les morts pour la France en Algérie, au Maroc et en Tunisie”, révèle un déni de mémoire pour tous ceux qui sont morts en étant encore citoyens français, ne devenant Algériens qu’à titre posthume.
Précisément, c’est de l’affrontement entre communautés qu’est véritablement née la nation algérienne. Beaucoup de musulmans du département français d’Algérie ont cru, au moins jusqu’en 1959, au rêve de l’égalité civique qui les aurait reconnus come citoyens français à part entière. Un rêve qui s’est piégé, comme les partisans du contraire, en croyant au fameux « je vous ai compris » de général De Gaulle, avant de constater que les tenants de l’apartheid conservaient le pouvoir.
Le mot peut choquer. C’est pourtant cette réalité qui a fait basculer massivement la population algérienne pour la cause de l’indépendance et du drapeau algérien, sans aucun lien rationnel ni avec la faiblesse militaire de l’ALN, ni avec le rapport de forces défavorable au FLN.
De grands historiens ont analysé, décrit, commenté ce divorce et l’émergence d’un nationalisme authentique. Benjamin Stora, Maurice Vaïsse et bien d’autres ont contribué à sortir la perception de ce conflit d’une approche schizophrénique, entretenue non seulement du côté algérien mais presque autant du côté français.
Remettre en cause la gestion française de ce conflit, c’était en effet remettre en question la colonisation de l’Algérie depuis 1830 ; il fallait donc attendre le récent débat des historiens en France remettant en cause la colonisation française pour réexaminer avec de nouvelles grilles de lecture la perception française de l’Algérie.
Côté algérien, cette relecture apaisée reste à faire en la sortant d’un schéma classique où le colonisateur arrogant vient réduire en esclavage un pays uni et prospère. Le nom même de l’Algérie, al-Djazaïr, “les îles” au pluriel – on dirait aujourd’hui “l’archipel” – résume cette réalité d’une Algérie précoloniale morcelée en émirats, régions tribus ; et la première infrastructure unificatrice remonte, comme ailleurs dans la région, à l’Empire ottoman, mais la colonisation turque n’est plus un sujet depuis la fin de l’Empire ottoman.
C’est peut-être le plus intéressant dans l’histoire de ce jeune pays : le nationalisme algérien, né de l’affrontement avec la nation française, a une force autonome qui a échappé ensuite à toutes les influences extérieures, nationalisme arabe, tiers-mondisme, socialisme marxiste, fondamentalisme musulman.
Et si le printemps arabe arrive jusque dans ce pays, ce qu’on ne peut exclure avec un régime politiquement usé après des années de guerre civile inavouée, le sentiment national sera peut-être plus fort ici qu’ailleurs. Et, au-delà, la conscience d’une communauté de destin avec la France, à cause et malgré l’histoire sanglante, avec des décennies d’immigration algérienne en France et des liens étroits tissés par cette diaspora de binationaux.
Les images de la victoire de l’équipe de France au “Mondial” de 1998 avec les slogans “Zidane président” et les drapeaux algériens mêlés aux drapeaux français sur les Champs-Elysées en avaient alors choqué plus d’un en France. Pourtant, ces images sont révélatrices d’un espoir de réconciliation car, simultanément, le capitaine Zidane et ses “bleus” avaient été célébrés comme des héros en Algérie.
Sans doute faudra-t-il attendre, pour voir renaître cet espoir d’une réconciliation difficile mais pas impossible, un changement de paysage politique aussi bien en Algérie qu’en France. Mais avec l’arrivée de nouvelles générations d’électeurs décomplexés sur une Histoire déjà ancienne, il n’est pas interdit d’espérer…
Quant aux dates, elles finiront par converger : les Algériens ne commémorent pas le 19 mars mais plutôt le 5 juillet, fête de l’indépendance, et leur fête nationale est fixée au 1er novembre, début de l’insurrection (eux disent début de la révolution) en 1954. Il faudra encore quelques batailles d’historiens pour rapprocher les dates en une célébration commune de réconciliation !
François Hollande a choisi le quotidien algérien El-Watan pour s'exprimer sur le sujet. Non pas pour critiquer l'intransigeance de certains nostalgiques de l'Algérie française, mais pour renvoyer dos à dos les exrémistes des deux pays ; il propose "d'en finir avec la guerre des mémoires". Sage et courageux, à lire en tous cas :
http://www.elwatan.com/actualite/une-repentance-jamais-formulee-19-03-2012-163361_109.php
Rédigé par : Pierre | 19 mars 2012 à 12:26
Suis assez d'accord avec cette guerre des mémoire. Mais il faut aussi comprendre que la construction de l'identité algérienne s'est faite en grande partie autour de l'indépendance. Le temps passant, les générations se succédant, on peut espérer que peu à peu une "normalisation" intervienne. Egea
Rédigé par : egea | 22 mars 2012 à 19:09