Dans une guerre imprécise, où l’enjeu n’est plus la destruction d’un adversaire souvent impossible à définir, le combat tactique reste encore un facteur essentiel pour la maîtrise du terrain, et l’arme de la cavalerie blindée n’est pas démodée puisque, au contraire, elle reste un outil précieux à cause de sa mobilité et de sa capacité d’adaptation.
Charles Maisonneuve, cavalier, journaliste et communiquant dans l’industrie des blindés, est idéalement placé pour faire une analyse à la fois précise et objective de cette récente évolution. La force de son livre, « Les combats de la cavalerie blindée », c’est d’avoir délaissé les débats politiques et stratégiques sur le « pourquoi » de la présence de la France dans certains pays ou certains théâtres d’opérations, et de s’être consacré au « comment ».
Et d’avoir privilégié les lieutenants et capitaines, ceux qui ont la réalité du commandement sur le terrain : interviews directes, participation à des colloques spécialisés dont ceux de l’Ecole à Saumur, dépouillement de rapports de fin de mission et autres « Retex », le travail d’enquête a été considérable, et le vrai travail de synthèse rend la lecture facile et même très vivante.
Côte d’Ivoire, Liban, Bosnie, Afghanistan, autant d’histoires racontées de façon réaliste et illustrant parfaitement cette spécificité des moyens de la cavalerie ainsi que la place importante des blindés dans la manœuvre, soit pour l’action directe, soit pour la « dissuasion ».
Paradoxe, avec 6.000 hommes, les cavaliers pèsent aujourd’hui à peine 4,3% des effectifs de l’armée de terre. Mais la spécificité de leur arme démultiplie leur efficacité par le choc et le feu que leur confèrent les engins blindés, chenillés ou à roues, et leur donne de ce fait un rôle beaucoup plus important.
Le livre étudie d’abord les opérations extérieures et le rôle possible joué par les blindés. Ainsi dans le cas de l’Afghanistan on a affaire à une « guerre de contre-insurrection, (dans laquelle) la destruction de l’ennemi n’est pas l’objectif primordial ; le plus important est de réussir à mettre de son côté la population pour la forcer de facto à rejeter la guérilla. (…) La remise en question du modèle occidental de la guerre commence par une véritable réflexion sur l’adversaire, en prenant pour principe élémentaire de travail de ne jamais le sous-estimer ». D’emblée, on voit que l’important n’est pas de détruire l’adversaire mais de le manœuvrer.
Ceci est encore plus vrai dans les combats urbains ou au milieu de populations civiles : à N’Djamena, en février 2008, un peloton du 1er REC a réussi à tenir les abords de l’aéroport avec des ERC-90 Sagaie en tenant à bonne distance la colonne de rebelles qui pénétrait dans la capitale. De la même façon, en novembre 2004 en Côte d’Ivoire, 5 sagaie, 3 VAB et 6 véhicules légers P4 du 43e BIMa ont manœuvré une foule de manifestants sans laisser déborder leurs positions et en effectuant même une charge pacifique. Le besoin de disposer d’armes non létales se fait évidemment sentir dans ce genre de situations critiques.
Par leur mobilité, les engins de la cavalerie jouent également un rôle clé dans le recueil du renseignement : citant d’autres exemples en Côte d’Ivoire, Charles Maisonneuve remarque que la présence d’unités légères blindées permet de recueillir un renseignement d’ambiance qui vise « non plus à détecter l’action mais à percevoir l’intention » des parties en présence, notamment en ouvrant le feu pour « tester la détermination de l’adversaire », chose évidement plus difficile pour des unités d’infanterie.
Une partie passionnante de son étude est de reconsidérer le rôle du char de bataille, parfois considéré comme trop lourd et encombrant pour des opérations mineures. Au contraire, écrit-il, le char revient dans les crises majeures comme une « composante de la dissuasion conventionnelle ». C’est ainsi qu’en 2006, l’ONU avait décidé de renforcer au Liban la FINUL, une FINUL trop souvent humiliée depuis sa création en 1978 par des forces la surclassant, notamment l’armée israélienne avec ses chars. Là, il s’agissait d’enrayer une escalade entre Tsahal et Hezbollah et d’éviter une nouvelle guerre au sud Liban. Le 501-503e RCC est engagé avec 13 chars Leclerc, 4 canons automoteurs de 155 mm AUF1, et 24 transports de troupe blindés AMX-10P. Leur rôle de dissuasion est vite évident, le gros char Leclerc inhibe les parties antagonistes comme il l’avait fait au Kosovo.
Le char reste en tout état de cause un outil privilégié par nombre de pays, on l’a vu dans la crise entre la Russie et la Géorgie en août 2008, où les Russes n’ont « pas eu peur de perdre quelques blindés (… car) dans la culture opérationnelles de bien des armées étrangères, le char de bataille est un outil comme un autre et il n’y a pas de limites psychologiques à son emploi ». L’auteur s’inquiète à juste titre de la montée spectaculaire des parcs de blindés de la Chine, la Russie et le Pakistan, qui se dotent de milliers de chars neufs chaque année.
La seule présence de blindés peut du reste retourner une situation, comme cela s’est passé dans la zone de Duékoué en décembre 2002, en Côte d’Ivoire, où un peloton d’ERC-90 du 1er RHP et une compagnie du 2e REP ont été dépêchés dans l’urgence pour rejoindre la zone et empêcher une force rebelle de profiter de la débandade des forces armées ivoiriennes et prendre le contrôle de la route du cacao. Déplacement vite et loin, mobilité, tenue des carrefours : les blindés donnent au dispositif la supériorité sur des éléments rebelles agressifs mais pris par surprise.
Examinant enfin l’utilisation des blindés en action directe, l’auteur insiste sur l’atout qu’ils représentent pour le commandement dans la maîtrise du terrain. Il cite encore une fois la Côte d’Ivoire et l’Afghanistan. En Côte d’Ivoire, un peloton d’AMX-10RC du 1er Spahis, engagé dans le secteur de Gohitafla, arrive à contenir et repousser une attaque de rebelles armés. Le combat d’une nuit et un jour, les chars interviennent au canon pour dégager la localité assiégée et même sécuriser le poser d’hélicoptères. Bilan : sept blessés côté français, vingt morts et trente prisonniers chez les rebelles ; à petite échelle, les Spahis ont réalisé ici un de ces raids blindés qui ont été joués à grande échelle par les Anglo-Américains en Irak.
En Afghanistan, l’AMX10-RC a été utilisé comme moyen de déception, comme dans la zone de Tagab par le 4e Chasseurs : « dans l’esprit des afghans, héritage de l’invasion soviétique, le char est une pièce maîtresse (…) nous utilisions parfois les 10RC pour brouiller les pistes, en poussant les insurgés à accorder à un axe tactiquement secondaire une importance disproportionnée dans la manœuvre globale », explique à l’auteur un capitaine de Chasseurs.
Conclusion : très technique sur l’évolution des blindés, de la survie du Leclerc et de son remplacement possible, la conclusion est innovante dans l’approche de la cavalerie blindée comme outil de renseignement, avec l’idée en particulier de développer des « bataillons multi-capteurs » en combinant les moyens radars, capteurs, optiques des différentes unités, au service de la gestion de la manœuvre par le commandement. Autre idée originale, celle de développer des compétences « pour la mise en œuvre d’engins trouvés sur le théâtre » comme les chars russes T-54 et T-62, en créant notamment des unités d’appui spécialisé au profit du Commandement des opérations spéciales.
Plaidoyer pour l’ABC, ce livre va bien au-delà et correspond bien à l’évolution de l’armée de Terre en France et dans d’autres pays : comment maximiser l’efficacité d’une force réduite en quantité par le développement de savoir-faire hautement spécialisés, s’appuyant sur des moyens de haute technologie, pour donner à la manœuvre la créativité et l’inventivité capables de surclasser un adversaire supérieur en nombre ou en moyens classiques : on est en plein dans la problématique du prochain Livre Blanc.
Un mot justement sur la préface, écrite par le général Michel Yakovleff, brillant cavalier et auteur de « Tactique théorique » (Economica, Paris 2006), mais surtout l’un des rapporteurs du dernier Livre Blanc sur la sécurité et la défense, donc l’un des promoteurs de la pensée militaire française. Preuve que ce livre survient à point nommé, alors que va s’ouvrir le chantier du nouveau Livre blanc.
Charles Maisonneuve, Les Combats de la Cavalerie blindée, Economica, 117 p.
Bonjour.
Un cavalier qui parle objectivement de cette arme. Sans évoquer le maintien en condition, les départs en masse des jeunes margis, le diktat des industriels (au Kosovo , il fallait vendre du char car le XL ne se vend pas bien...). Au sujet de l'Afgha les cavaliers peuvent s'enorgueillir de quoi : leur absence a Uzbeen ? Les tirs fratricides d'août 2010 ? L'inefficacité du char démineur ?
Bref, pour la guerre insurrectionnelle, en ville principalement, le char est sourd, aveugle et nu.
Comme par hasard peu avant les prochaines coupes budgétaires, un partisan "vend" son système. Ça ne trompe personne.
Rédigé par : Viktor | 20 avril 2012 à 20:30
Viktor est sans doute un fantassin sectaire, ou un sectaire tout court car il y a des fantassins très ouverts... Charles a été très objectif puisqu'il parle longuement des groupements tactiques interarmes et de la parfaite complémentarité entre blindés et troupes débarquées en combat de localité. Sans doute mon résumé a-t-il été trop court, mea culpa, l'ouvrage en tous cas est tout sauf un plaidoyer corporatiste, il est une vue originale sur l'utilisation optimale des moyens de l'ABC dans les combats de rencontre et face à un ennemi non conventionnel. Le mieux c'est quand même de lire le bouquin, plutôt que son imparfait compte-rendu !
Rédigé par : Pierre | 21 avril 2012 à 14:02
bravo charles !!!
Rédigé par : [email protected] | 22 mai 2012 à 19:01