Posée sur un lac à l’époque des Aztèques, la ville de Mexico-Tenochtitlan continue à flotter sur un sol meuble qui la protège des séismes et où les cultures tour à tour s’enfoncent et affleurent à la surface dans un étonnant mélange des époques et des styles qui fait la richesse de cette capitale unique.
La ville aztèque est intensément présente, puisque deux des principales artères de la capitale actuelle sont les deux axes principaux, nord-sud et est-ouest, tracés par les Aztèques pour amener au cœur de cette Venise indienne les cortèges des porteurs d’offrandes. Une carte de pierre en relief, centre d’une fontaine juste au sud de la cathédrale de la Guadalupe, permet de constater visuellement la coïncidence entre les schémas antique et actuel de la ville.
La massive Guadalupe, belle construction baroque, a été restaurée récemment par un consortium international incluant des spécialistes italiens – les mêmes qui préservent Venise de l’envasement dans la lagune – car elle s’enfonçait dangereusement et risquait même l’écroulement, comme nombre d’édifices publics et privés de la capitale qu’on peut voir curieusement penchés, preuve que le sol est meuble.
Mais c’est le sol limoneux qui a aussi préservé dans un état exceptionnel les vestiges de ce qui fut une grande métropole amérindienne. Les fouilles faites immédiatement à côté de la cathédrale ont permis de dégager les constructions aztèques du Templo Mayor, dont certaines avaient encore leurs peintures. Des fouilles qui ont également permis d’éclairer comment se construisaient les pyramides, régulièrement recouvertes d’une épaisseur pour les faire grandir, comme des pelures d’oignon, ici onze couches successives.
La ville espagnole a recouvert les temples d’églises, mais les fidèles sont toujours les mêmes et le contraste des danseurs indiens à parure en plumes sautillant pendant des heures au son du tambour devant la cathédrale n’est qu’apparent. Ce sont les mêmes qui viennent apporter leurs offrandes, fleurs tressées devenues croix de palmes, galettes de maïs et fruits frais, et le même mouvement incessant depuis le lac et les montagnes jusqu’aux sanctuaires du centre de la ville n’a jamais cessé depuis des siècles et des siècles.
La ville coloniale a été précieusement conservée, jusque dans les couleurs. A part quelques façades creusées de crevasses, quelques constructions bizarrement inclinées, le temps n’a pas eu prise sur ces constructions baroques dont beaucoup ont été restaurées, comme ce palais où est installé le musée de la vile, dont la cour abrite encore une calèche.
Côté cosmogonie, les dieux multiples de la religion aztèque, elle-même syncrétique des civilisations asservies, ont été remplacés par la cosmogonie chrétienne dans sa version la plus luxuriante, Dieu étant entouré de Jésus, de la Vierge de la Guadalupe et de toute la cohorte des Saints et martyrs.
Avec une profusion d’ex-voto rappelant les offrandes votives d’avant la colonisation, et d’or dans les églises reflétant celui qui a été pillé dans les temples détruits.
Plus récente, l’histoire de l’indépendance et de la révolution mexicain s’affiche ici sur les “Murales”, dans les statues et da s l’iconographie urbaine. Autre panthéon, les héros sont ici Pancho Villa, Massimiliano Zapata, l’inévitable Frida Kahlo, épouse du muraliste Diego Rivera, mais aussi Che Guevara – les Castristes sont bien partis du Mexique – et la grande figure de José Marti, premier libérateur de Cuba et l’j des héros de l’émancipation de l’Amérique ibérique, avec San Martin, Bolivar et Sucre…
La révolution industrielle a laissé des traces avec l’enrichissement de la ville, symbolisé par le palais des Beaux-Arts auquel un palais étonnant, quoique plus discret de l’extérieur, est l’ancienne poste centrale, aussi étonnante dans son genre que la gare du Hedjaz à Damas, avec ses guichets aux épaisses grilles en laiton et son escalier monumental.
De la même époque, début du 20e siècle, une étonnante pendule ottomane sur une colonne à carreaux de céramique offre l’heure avec des chiffres hindous (arabes), don de la communauté ottomane en 1910, avec une sorte de girouette au-dessus ornée d’un cèdre du Liban et d’un croissant islamique. De la même époque, nombre de magasins à la fois traditionnels et cossus, dont des fabricants de sombreros, selles, bottes et vêtements de “charros”, les éleveurs de chevaux.
S’élargissant vers l’ouest, la ville moderne étire aujourd’hui ses tours en hauteur, sièges de sociétés, banques et grands hôtels, complétant le riche contraste de la capitale mexicaine. La plus haute jusqu’en 1984 avec ses 183 mètre, la tour Latino americana, ajoute sa touche de kitsch en diffusant, avec ses haut-parleurs géants, le carillon de Big Ben chaque quart d’heure, ce qui est totalement surprenant quand on n’est pas prévenu et nettement moins beau que les carillons de vraies cloches de la Guadalupe et des autres églises.
La population reflète cette diversité avec une incroyable richesse de différences, y compris la profusion d’uniformes – le moindre vigile est chamarré comme un amiral, avec casquette et galons – et de costumes variés, reflétant aussi une très grande liberté de mœurs. Sex-shops et quartiers gay sont aussi présents que dans d’autres métropoles du monde, et si les femmes ont certaines zones réservées dans les wagons de métro, cela se fait sans séparation et dans la pus grande tolérance réciproque.
L’engouement des Mexicains pour la culture, comme ces files interminables pour aller voir l’exposition Botero, mais aussi le public permanent au grand musée archéologique et au musée des fouilles aztèques du Templo Mayor, prouve enfin que les cultures dont se nourrit la ville ne se contentent pas d’affleurer, elles sont ancrées profondément et confirment, comme le disait Fernando Botero, qu’ici plus qu’ailleurs la civilisation est millénaire.
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