Accompagner un proche ou un ami aux urgences d’un hôpital est toujours une expérience humaine forte, car on se trouve immergé dans un monde trépidant qu’on ne soupçonne pas, où le sourire et le dévouement du personnel hospitalier, des secouristes, pompiers, policiers et ambulanciers prend une résonnance fantastique pour amortir le choc de ce véritable défilé des horreurs qu’est le sas des urgences.
Ambroise Paré, samedi soir, un weekend printanier ordinaire. L’accès des urgences par l’arrière de l’hôpital est tranquille, quelques couples attendent, des familles, quelques jeunes, le lot habituel des petits et gros bobos d’une journée où on a profité du beau temps : accidents du sport, chutes, blessures sans gravité. On fait sagement la file derrière le grand rideau double derrière lequel les infirmiers font le premier tri. Identité, premières questions, évaluation de l’urgence réelle, fixation de la priorité. Certains sont installés directement sur des lits à roulettes et poussés vers un second sas, d’autres s’installent sur les bancs de la salle d’attente en attendant de faire qui une radio, qui un examen du sang, ou que l’un des médecins de service puisse les consulter.
Peu de gens lisent les pancartes, ils sont trop émus en arrivant, la plupart demandent à ceux qui sont déjà là comment ça marche, qui est le dernier arrivé, combien on doit attendre. Mais la course pour arriver à l’hôpital s’arrête là, le nombre de docteurs, infirmiers et infirmières rassure. Une impression de ruche bourdonnante mais presque silencieuse, avec de temps en temps des infirmiers qui sortent de la zone des soins pour aller à la machine à café – on comprend qu’ils sont là depuis déjà longtemps, avec un certain stress à gérer parmi les patients. Leur décontraction participe au climat rassurant.
Chacun à son tour, les patients sont appelés, dispatchés, font une prise de sang pour analyse, reviennent attendre, repartent voir le médecin, reviennent. Le temps paraît plus long à ceux qui sont seuls, alors que ceux qui sont venus en famille bavardent et jouent avec les enfants. La soirée s’écoule, lente avec de longues attentes entre les tests et consultations. Mais c’est rassurant, on voit le flux s’écouler, des malades repartir avec des bandages ou des attèles, des familles rassurées, une impression que le rythme a permis d’écluser tous les cas, les moins dramatiques autant que les plus critiques.
Fausse impression, la nuit ne fait que commencer. On n’entend pas les ambulances arriver car elles coupent les sirènes avant d’arriver à l’hôpital, mais ce sont brusquement un, puis deux, puis quatre brancards installés sur des supports à roulettes qui surgissent de la nuit et viennent encombrer la salle d’attente. Avec eux, deux, puis quatre, puis dix sapeurs-pompiers, qui tentent d’installer leurs blessés le plus doucement et le plus efficacement possible. C’est la moisson du samedi soir, les accidents de la circulation, mais aussi les chutes de personnes âgées, dans la rue ou chez elles.
Pas un plainte, mais on sent la souffrance de façon palpable. Une vielle dame, la figure marquée par un hématome sombre car elle a du tomber de face, sourit sans rien dire en voyant qu’on s’occupe d’elle. Un homme âgé, dont un pompier signale à l’infirmière qu’il a eu une fracture, tremble et se plaint du froid. On le recouvre d’un drap, puis le chef de l’équipe des sapeurs-pompiers lui parle et le secoue, lui demandant de ne pas s’endormir avant d’avoir été vu par le médecin. Les minutes vont lui sembler des heures, mais il y a déjà un brancard derrière le rideau, et deux autres avant lui. On voit le personnel soignant qui fait le maximum, des lits d’hôpital sont amenés vides, d’autres repartent, les pompiers remplient un brancard et repartent à l’ambulance.
Les pompiers, policiers et ambulanciers arrivent tous avec déjà un dossier sur leur malade ou blessé : heure de prise en charge, traumatismes constatés, premiers soins. Beaucoup de sérieux, des procédures respectées, on les sent habitués et entraînés à ce travail difficile où chaque minute compte. Scènes de retrouvailles entre équipes de pompiers, certains se saluent en plaisantant. Rien de choquant, ce n’est pas de l’indifférence mais une façon de gérer eux aussi leur stress. Combien de soirées et de nuits passées ainsi à courir d’un incident à l’autre, à sauver un accidenté, à évacuer la victime d’un AVC ou d’un accident cardiaque. Métier exigeant, héroïsme quotidien, insoupçonné du public…
La salle d’attente est pleine désormais, le défilé des médecins a pris un autre rythme. Ballet incessant des brancardiers, infirmiers, aide-soignants qui s’échangent consignes et informations. Arrive une escouade de policiers encadrant un homme menotté. Les gens se regardent, inquiets. L’homme vocifère, lance les pires injures aux policiers qui ne lui répondent pas. On pense à un alcoolique mais il aurait été placé en cellule de dégrisement, au commissariat. Non, c’est visiblement un dément, rendu agressif par l’abus d’alcool, qui enchaîne des chapelets d’injures et de menaces terribles contre les policiers, menaçant de les tuer tous, eux, leur mère et leur grand-mère. Sur le mur, de petites pancartes rappellent que toute agression verbale envers le personnel peut faire l’objet de poursuites pénales. Pour le moment, les policiers font semblant de ne rien entendre, en attendant qu’il se lasse tout seul, ce qui va arriver. Ses propos deviennent moins clairs, il se tasse sur son siège.
L’infirmière revient, dernier entretien avec le médecin, on peut repartir. Sur le parking des urgences, vide en début de soirée, cinq ambulances. La nuit n’est pas finie, c’est bientôt la sortie des boîtes de nuit, la conduite en état d’ivresse… Les urgences ne vont pas chômer, comme toujours le samedi soir.
Très bel hommage à des personnes et des lieux qu'on respecte mais qu'on préfère ne pas voir trop souvent... Merci!
Rédigé par : Sophie | 25 avril 2012 à 10:21