Fidèle à lui-même, le journaliste Pierre Darcourt a réaffirmé son attachement à la liberté en recevant le 29 juin le prix littéraire de l’armée de terre Erwan Bergot, résumé dans la devise gravée sur le poignard de son grand-père corse : « Omu liberu », avec un fier et vibrant plaidoyer pour la liberté du journaliste. (photo Jean-Marc Tanguy)
Darcourt ne parlant jamais de lui-même, c’était un événement que la remise de ce prix, à laquelle il a imposé ses règles de bout en bout : comme l’a rappelé le chef d’état-major de l’arme de terre le général Bertrand Ract-Madoux, il n’était pas candidat au prix, étant membre du jury. Mais dès lors que quelqu’un a présenté ce livre non prévu, il s’est comme imposé de lui-même, a raconté le général. Ensuite Pierre Darcourt a usé de son franc-parler pour répondre au CEMAT, sortant de son rôle d’écrivain primé pour célébrer les grandeur et servitudes du métier de journaliste. Enfin il a montré son détachement en offrant d’emblée le chèque de six mille Euros du prix, qu’il venait de recevoir, à l’association Terre Fraternité, qui vient au secours des blessés de guerre.
C’était du grand Darcourt, et si la sono n’était pas terrible, sa voix a porté par la force du discours. Ayant eu la chance de récupérer la trame de son discours, j’en cite ici les passages principaux, ceux qui révèlent la vigueur d’un journaliste guerrier toujours aussi combatif malgré son âge respectable. (à gauche, les épouses de Pierre Schoendorfer et d’Erwan Bergot – photo Jean-M. Tanguy)
Pierre Darcourt :
« Je suis honoré de recevoir le Prix 2012 Erwan Bergot ; C’était un écrivain de talent. C'était un soldat. Il était mon ami. Je salue son épouse Jeannine et l'assure de toute mon affection.
« J'ai suivi avec attention tout ce que vous avez dit. Mais mon livre n'est pas un chant funèbre. Nos alliés ont connu pire, en Malaisie et dans toute l'Asie du Sud-Est. La loi de la Bible d’acier, comme les Nippons appelaient l'usage du sabre à deux mains. La nuit même où les Japonais attaquaient nos garnisons, 300 superforteresses B29 américaines incendiaient Tokyo sous un déluge de bombes au phosphore et au magnésium. 185.000 morts. Davantage de victimes qu'à Hiroshima.
« Mon livre est un simple rappel au respect et à la mémoire, au courage des soldats. Il souligne l'irresponsabilité des politiques et, parfois, les erreurs tragiques du commandement sans qu'il y ait jamais eu de sanction.
« Ma vie, je ne l'ai jamais racontée à personne. J'aurais pu en faire un livre mais je ne suis pas un sujet, je suis un témoin. Trois moments forts l'ont ancrée :
“• L'entrée dans la Résistance à 16 ans en 1943.
“Au mois de décembre, les Américains bombardent lourdement Hanoi. 300 élèves du lycée Albert Sarraut sont évacués sur le Tam Dao, une montagne couverte de jungle qui domine le Delta du Tonkin. En 1944, je reçois l'ordre de former un maquis de lycéens. Equipés de mitraillettes Sten, le 31 décembre 1944, mon groupe arrache les huit membres d'équipage d'un Liberator abattu, traqués par la gendarmerie japonaise.
“Le 9 mars 1945, nous prenons la brousse. Partis à 40... nous sommes 12 à l'arrivée. Après la traversée des cent mille monts, 800 km de marche dans la jungle en 45 jours, 3 combats et 4 blessés décapités, nous atteignons la Chine. Les autres, épuisés, disparus sur la piste. Le plus âgé de notre groupe de survivants est âgé de 18 ans. Le plus jeune, de 15 ans et 3 mois.
“De la Chine, nous gagnons les Indes et Calcutta. Tous brevetés parachutistes au camp de Jessore. Trois mois de drill et retour au combat. Largués au Tonkin ou au Laos, 3 jours avant la première bombe atomique sur le Japon. Pour le stick, cinq mois de mission dans les montagnes de la Haute Région. Nouveau repli en Chine. Encore 600 km de marche à pied. De cette aventure, je suis revenu marqué par le maintien et la rigueur très britannique de nos instructeurs de la Force 136. Les meilleurs du monde. Une féroce envie de survivre. Et une solide dose d'humour. La suite, c'est la splendeur indochinoise, ces paysages magiques, un peuple en danger, le rebond de la guerre et des coupe-gorge. (photo Jean-Marc Tanguy)
• En 1950, au milieu d'un désastre, l'arrivée éclatante du général de Lattre qui nous lance de sa voix métallique : « La victoire, c'est comme Dieu, on y croit ou on n’y croit pas.» Une année de victoires, quatre batailles, quatre divisions brisées, le corps de bataille du Viêt-minh disloqué. Pendant cette année terrible et fulgurante, pour la première fois, nous avons été caressés par les ailes dorées de la gloire. Et conduits par un chef de guerre flamboyant. Nous ne l'avons jamais oublié.
• Le 3e point, c'est ma vie de journaliste. Puis j'ai touché ma première carte de presse, à l'époque, j'étais pauvre. Et pourtant, avec ce petit carton barré de tricolore, je suis allé au bout de la terre, en m'accrochant à l'un des plus beaux textes du monde : la Charte des Journalistes. La dignité, la parole, l'intransigeance de l'esprit et de l'écriture. Un métier superbe et fort. 50 ans de route. De coups à prendre, d'émotions à partager. La route, c'est le risque et l'aventure. Avec l'obsession d'arriver le premier là où personne ne va jamais. La route, c'est un chemin de lumière, le dernier rendez-vous des princes. Quelques représentants de cette noblesse rarement affichée sont venus partager ce moment avec moi. Mon grand-père, un vieux chef de bergers corses, avait une devise gravée sur son couteau : OMU LIBERU. Homme libre. Toute ma vie, je n'ai pas porté d'autre talisman que ces deux mots.
“Ce soir, quelques-uns de mes meilleurs amis sont là. De grands soldats, des hommes de la route. Deux journalistes de combat. Et un vieux guerrier du Tonkin qui a affronté l'impossible (colonel Allaire). A Tulé et Dien Bien Phu… (…)”
Avec panache, Pierre Darcourt conclut en offrant le chèque à peine reçu du CEMAT à l’ancien CEMAT, le général Bernard Thorette, Président de l'association Terre Fraternité :
“Je salue le général Bernard Thorette, Président de l'association Terre Fraternité. Et les efforts consentis en faveur des blessés en opération ainsi qu'à leurs familles. C'est une action qui force le respect. J'ai pris la décision — dès que j'ai été lauréat du Prix Bergot — de verser le montant de ce prix à cette association”.
Photo ci-contre © Jean-Michel Guhl.
Commentaires